Du fermenté dans l'assiette
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Du fermenté dans l’assiette

Bactéries, champignons et levure ont les faveurs des gourmands curieux et des chefs, que ce soit pour les vertus qu’on leur attribue, leur plus longue conservation ou simplement leur goût.

Pedro Perez, fondateur de Tout cru! Atelier de fermentation, utilise la lactofermentation depuis de nombreuses années dans son atelier situé à Delson, en Montérégie. Après avoir réussi à séduire les papilles de sa patronne boulangère avec ses aliments fermentés, il a décidé de l’écouter et de se lancer en affaires en 2015. «Au fil du temps, j’ai développé des recettes, le but étant de transformer le plus de produits d’ici. Nous proposons du kimchi et des choucroutes qui se déclinent sous quatre formes différentes», explique Pedro.

Dans la cuisine de Tout cru!, on trouve de la choucroute aux baies de genièvre ou aux algues marines de Gaspésie, du kimchi – sorte de chou chinois assaisonné aux épices coréennes – et même des radis à la fleur d’ail. Le propriétaire maîtrise la méthode et ne manque pas d’idées. Mais tout aliment ne peut pas forcément être fermenté. Pour cela, il doit contenir principalement des glucides, comme c’est le cas des fruits, des légumes et des céréales.

Le principe de la fermentation est simple: il s’agit de créer un environnement favorable au développement de micro-organismes tels que des bactéries, des levures et même des champignons, qui vont transformer les aliments en grignotant les sucres qui s’y trouvent naturellement. Ces micro-organismes répandent alors des acides ou de l’alcool qui vont intensifier les arômes et les modifier. «Ce processus peut prendre quelques heures ou plusieurs jours selon l’aliment», explique Stéphanie Côté, nutritionniste chez Extenso et auteure du livre La santé par l’intestin.

Nouvelles saveurs

Dans les cuisines des restaurants aussi, les toqués se lancent. Si certains font appel à des entreprises comme celle de Pedro, d’autres préfèrent laisser libre cours à leur imagination. Pierre-Olivier Ferry, chef du restaurant des Jardins de Métis, en Gaspésie, concocte sa propre choucroute, son kimchi, ses carottes fermentées et son kombucha depuis environ cinq ans. Il a aussi sur sa carte une purée de pommes fermentées. «On s’amuse, on explore. La fermentation permet d’apporter des saveurs qu’on ne connaissait pas forcément avant», indique le chef.

Tout est parti d’une fin de saison, lorsque les employés ramassaient les derniers choux et que le chef et son équipe ne savaient pas trop quoi en faire. «On s’est dit qu’on allait tester. Ca nous a permis de réaliser des préparations hors saison.» Pour trouver la bonne recette, il a parcouru plusieurs livres, a fait de nombreux essais et a aussi raté des choses. Dans ses assiettes, la fermentation apporte «de la profondeur et de l’acidité. On n’achète plus d’agrumes: les produits fermentés nous permettent de réaliser des vinaigrettes et des jus acidulés pour balancer les saveurs de nos plats», poursuit le chef.

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Bol de Kimchi

La cheffe Nancy Hinton des Jardins sauvages, un restaurant de Saint-Roch-de-l’Achigan, dans les Basses-Laurentides, a aussi été tentée par les produits fermentés. Kimchi et légumes en pickles dans lesquels elle incorporait des plantes sauvages ornaient les étagères de sa cuisine. Mais le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) l’a freinée dans son inventivité. «Ils demandent à ce qu’un certain niveau de pH dans les aliments soit respecté et parfois, les produits fermentés frôlent les limites. Ils m’ont vraiment ennuyée avec ça, alors ça m’a un peu refroidie», confie la cheffe.

Bon goût et bas coût

Là où le MAPAQ n’a en revanche pas son mot à dire, ce sont dans les cuisines des curieux qui eux aussi se lancent dans le fermenté, comme Camille Cardinal, une Montréalaise abonnée aux «bizarreries culinaires», comme elle les nomme. Depuis quelque temps, elle fabrique son propre kombucha, une boisson acidulée obtenue grâce à une culture symbiotique de bactéries et de levures dans un milieu sucré. Depuis peu, elle fait même son kéfir de fruit, une sorte de yogourt à boire.

«J’ai commencé par le kombucha, car un ami m’avait donné un bébé de sa mère», explique Camille. Pour réaliser son propre kombucha, il faut en effet récupérer un morceau (le bébé) du symbiote, couramment appelé «mère kombucha», une sorte de membrane visqueuse de quelques centimètres d’épaisseur. C’est pour son goût mais aussi pour son coût que la jeune femme a décidé de se lancer.

«Pour quatre litres de kombucha, j’ajoute au symbiote autant de thé noir, vert ou blanc. Il est important d’utiliser un thé neutre. J’ajoute aussi une tasse de sucre et je laisse fermenter de 10 à 14 jours dans un endroit sombre. Puis j’embouteille et je mets au frigo encore quelques jours. Il est possible d’ajouter des saveurs avant l’embouteillage, mais surtout pas au début de la fermentation sinon ça risque de tuer le symbiote», détaille Camille.

Ils sont beaucoup à vanter les vertus de ces produits. «Avec le développement des médecines alternatives, de plus en plus de personnes consomment des produits lactofermentés», avance Pedro. Des vertus confirmées par la nutritionniste Stéphanie Côté: «Les bienfaits des aliments fermentés sont nombreux. Ils ont une haute teneur en vitamines et en minéraux notamment. La fermentation augmente la valeur nutritive des aliments et leur durée de conservation.» En effet, le processus de fermentation créer des micro-organismes utiles qui contribuent à notre microbiote et qui se trouvent dans le tube digestif.

Beaucoup de marques vendent – voire survendent – les apports des produits fermentés. La nutritionniste tempère en mettant en garde contre certains arguments marketing: «On ne connaît pas leur impact direct sur la santé, mais on sait que ces micro-organismes ne peuvent pas nuire. Il n’y a simplement pas encore d’études approfondies qui ont été menées. Il ne faut pas attribuer de bénéfices exagérés aux aliments fermentés. Ils ne sont pas la panacée…»