Le Québec à plein nez
Vie

Le Québec à plein nez

Récompensés à l’international, les parfums artisanaux Monsillage sont conçus à Montréal. Derrière des notes variées, ils racontent aussi le terroir québécois cher à leur créatrice. Rencontre dans un atelier plein d’odeurs.

À peine entré chez Isabelle Michaud, un parfum persistant nous accueille. Un large frigo renferme les quelque 400 molécules de synthèse, huiles essentielles et absolus nécessaires à la création de parfums, qu’elle met au point ici même. Formée en France, à l’Institut supérieur international du parfum, Isabelle a créé Monsillage en 2009; en mai dernier, elle remportait son deuxième Art and Olfaction Award, un prix international qui récompense annuellement les créateurs de la parfumerie artisanale de niche. «Ça me prend beaucoup de temps à développer ma marque, car je porte tous les chapeaux en même temps, explique Isabelle. Recherche de fournisseurs, conception des parfums, administration…»

Elle arrive cependant à créer un parfum par an, qu’elle produit ensuite par lot de 40 flacons, à la demande, embouteillant elle-même sa petite production artisanale. Les parfums Monsillage sont offerts en ligne et dans plusieurs points de vente au Québec, en Ontario et dans l’est des États-Unis – un marché très nord-américain. À ce jour, elle a sept créations à son actif, dont Eau de céleri et Pays d’Ogon qui lui ont valu ses deux Art and Olfaction Award, auxquelles s’ajoutent deux collaborations pour les marques québécoises Wazo et Harricana. Si Isabelle regrette que la parfumerie ait longtemps été un milieu très caché et mystérieux, elle raconte volontiers les secrets de la fabrication.

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Comme une partition de musique

Chacun de ses parfums est la mise en scène d’une tranche de vie. La créatrice puise d’abord son inspiration dans une expérience, qu’elle transpose ensuite en odeur. «On part d’une page blanche, comme un écrivain. On réfléchit à l’histoire qu’on veut raconter. Moi, je m’inspire de photos, d’images, raconte Isabelle. Par exemple, Pays d’Ogon me ramenait 25 ans en arrière. Je voulais montrer le côté humide qu’on trouve en Afrique, et surtout à cet endroit. Il y a un peu plus de verdure qu’ailleurs. Il y a donc au début du parfum un côté un peu plus vert, plus tropical, puis ça tombe dans les bois exotiques, comme le bois de santal. Je voulais que ça reste très brut.»

Le reste se compose comme une partition de musique, avec des notes qui durent plus ou moins longtemps, se précèdent et se succèdent. Toutes les notes ont ainsi leur propre volatilité; les notes de tête sont plus éphémères, tandis que les notes de fond restent plus longtemps sur la peau. «C’est vivant un parfum…» Place à la chimie: chaque changement de proportion demande un nouvel essai – un parfum peut parfois demander plus de 300 essais. Et le terrain de jeu est infini: «Il y a toujours des molécules de synthèse à découvrir», assure Isabelle. Les laboratoires en découvrent en effet de nouvelles régulièrement, et il est donc important de rester à jour sur les notes offertes sur le marché.

«Il faut expliquer aux gens que la molécule de synthèse, c’est pas forcément mauvais, insiste la parfumeuse. Une huile essentielle est gorgée de molécules, qu’on peut isoler pour travailler avec chacune d’elles. Ça ouvre la palette de création, ça ajoute des reliefs, de la transparence aux parfums…» Les molécules de synthèse permettent en outre de créer des odeurs de fleurs comme le lilas, le muguet ou la jacinthe; autant de plantes qui perdent leurs odeurs quand elles passent par le processus d’extraction, et qu’il faut donc recréer avec d’autres notes.

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Parfumerie d’auteur

La parfumerie de niche, c’est d’abord une parfumerie d’auteur, définit Isabelle: le parfumeur est aussi le chef de sa marque, et il y a donc un point de vue très subjectif, un fil directeur dans toute la marque. «C’est une façon de voir la parfumerie qui est beaucoup plus personnelle. Au lieu de se fier à des focus groups, des tendances, on se fie plus à la personne qui crée le parfum, on fait confiance à la création.» Monsillage, c’est le passé d’Isabelle. Pour chaque parfum, l’idée est toujours là depuis longtemps, en gestation pendant environ deux ans avant d’aboutir dans un flacon. Elle puise beaucoup d’idées dans les endroits qu’elle visite, les rencontres, mais surtout dans ses souvenirs personnels, principalement de voyages. «Je m’inspire de la culture, mais aussi de la géographie des lieux, des expériences que j’ai vécues là-bas.»

C’est ensuite une interprétation sur différentes notes, où se mélangent le côté artistique et le côté personnel. «J’ai une sensibilité pour certaines notes, mais j’ai aussi un bagage culturel: mon terroir canadien est différent de celui d’un parfumeur européen, qui va avoir d’autres références – par exemple par rapport à certaines fleurs qu’on n’a pas. Ici, on a beaucoup de notes boisées, de forêts, de souvenirs culinaires propres au Québec… Ça, ça crée une différence dans le parfum.» Une gamme de fragrances qui évoque le terroir et le coin de pays d’où elle vient, et qui s’inscrit parfaitement dans la tendance actuelle du «consommer local».

Garde-robes de parfums

Bon timing: quand Isabelle lance Monsillage il y a presque 10 ans, c’est le début de ce mouvement. «À l’époque de nos parents, il y avait un seul standard de chic, un standard pour tout, alors qu’aujourd’hui, on respecte plus les individualités, pense Isabelle. Quand je me suis lancée, le marché et les clients étaient ouverts à des choses différentes de ce que faisaient les grandes marques.» L’atout du local reste prépondérant, et si son premier prix en 2015 lui ouvre les frontières, son marché principal reste le Québec. «Monsillage est fait ici, par une créatrice d’ici, et les gens aiment ça.»

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En soit aussi pour preuve le succès d’Invocation, seule parfumerie autochtone en Amérique du Nord, fondée en 1999. Inspirés des traditions ancestrales amérindiennes d’herboristerie, les parfums Invocation sont composés d’herbes, d’épices et de fleurs locales cultivées et récoltées par les communautés autochtones, et sont faits à la main. Leurs flacons sont baptisés avec des noms amérindiens signifiant «son sacré» ou «feu», qui rappellent leur inspiration. Cette année, la production artisanale de la manufacture devrait dépasser les 1000 litres, et deux nouveaux parfums sont attendus. Bref, les fragrances locales ont la cote.

Dans l’évolution des mœurs, Isabelle constate aussi la tendance aux «garde-robes de parfums»: depuis quelques années, les gens sont moins forcément fidèles à un parfum particulier. Une tendance qui se vérifie avec l’apparition de nouveaux volumes de vente: si on achetait avant des bouteilles de parfum de 100ml, elles font aujourd’hui 75, 50, 30 ou même 15ml. «Les gens aiment les petits flacons, pour en avoir de plusieurs marques et changer, s’adapter aux températures, aux événements… C’est une réelle tendance, confirme la parfumeuse. Il y a plus d’ouverture aussi pour essayer de nouvelles choses.» Et soutenir l’artisanat local en prime.