Le grand retour de la pâtisserie
Vie

Le grand retour de la pâtisserie

Autrefois zappé ou relégué aux grandes occasions, le dessert revient dans le quotidien. Exit le beurre et le sucre: le goût est dorénavant aux fruits et à la légèreté.

Dans le sillon de la cuisine, la pâtisserie se transforme. Son évolution est plus lente, d’abord parce que les pâtissiers travaillent moins par instinct et ont plus tendance à suivre les recettes de référence – qui contiennent souvent beaucoup de sucre et de beurre. Certes, le sucre avait un rôle à jouer à l’époque, quand la réfrigération était rare dans les boutiques et qu’il servait d’agent de conservation. Mais plus d’excuse aujourd’hui pour alléger la mesure! «En France, on parle du “désucrage” de la pâtisserie, ce qu’on commence à entendre ici, indique Patrice Demers. Mais il ne suffit pas d’enlever le sucre, il faut garder un équilibre, repenser les desserts. On peut refaire les classiques, mais en s’adaptant.»

À sa boutique montréalaise de Saint-Henri, Patrice Pâtissier, on trouvait par exemple cet été un Forêt-Noire où la cerise était plus présente que dans la version traditionnelle. «C’est une façon de rendre la pâtisserie plus équilibrée: laisser plus de place aux fruits, explique Patrice. Le sucre est mauvais pour la santé et les gens y font plus attention. Les pâtissiers n’ont pas le choix de s’adapter; si on veut que notre métier continue d’exister, on va chercher des desserts moins sucrés, plus frais, de meilleure qualité. Si le client peut se gâter en se faisant un peu moins mal et en se sentant moins coupable… tant mieux!» Patrice utilise une bonne partie de fruits du Québec à l’année en surgelant ses produits ou en les transformant pour les garder.

Si sa pâtisserie change les traditions, la clientèle est au rendez-vous. «Je me fais souvent dire par ceux qui ont moins l’habitude d’aimer le dessert que les miens leur plaisent vraiment. Habituellement, c’est trop sucré ou gras, et là, ils se retrouvent», raconte Patrice. Il juge le consommateur très ouvert d’esprit, comparé aux États-Unis par exemple – où l’on voit beaucoup moins de fines pâtisseries dans les grandes villes. «Là-bas, les clients sont plus friands de tendances, comme les macarons ou les cupcakes…»

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Patrice Demers   photo : Mickael A. Bandassak
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Dessert de chef

Les cuisiniers commencent à comprendre que la pâtisserie est importante, et les clients deviennent plus exigeants envers le dessert. Patrice Pâtissier a d’ailleurs reçu en stage quelques chefs désireux d’apprendre certaines bases. C’est que pâtisserie et cuisine sont intrinsèquement liées: si Patrice Demers s’est inspiré de Pierre Hermé ou Philippe Conticini, il a également été influencé par des chefs et par sa formation de cuisinier. «Ça différencie mon approche. Ce travail du goût, je le retrouve plus chez les cuisiniers. C’est rare qu’en pâtisserie, on parle d’assaisonnement, mais c’est quelque chose que j’essaie de montrer à mon équipe. On essaie de bâtir des saveurs un peu comme le ferait un cuisinier…»

Chez Patrice Pâtissier, les lunchs sont préparés par des pâtissiers les fins de semaine. Ce que Patrice trouve très important: «Goûter et assaisonner leur amène quelque chose de plus. En pâtisserie, parce que c’est réussi techniquement, on s’imagine que c’est toujours bon. C’est pas forcément vrai: y a une différence entre un bon et un très bon dessert.» Par exemple, les textures ont leur importance, et sont plus faciles à travailler dans un plat; en pâtisserie, il faut penser à leur évolution dans le temps – surtout pour un dessert de boutique avec une durée de vie plus longue qu’au resto, où il est monté à la dernière minute et servi tout de suite.

Pâtisserie pour tous les jours

Une qualité qui se retrouve dans le prix, que certains rechignent à dépenser, mais qui n’effraie pas une clientèle de plus en plus régulière. C’est le cas chez Gaël Vidricaire, qui a ouvert sa pâtisserie en 2016 à Québec, dans Montcalm: «On est plus cher qu’ailleurs, mais les gens sont plus intéressés par les petits artisans qu’ils connaissent. Le geste de consommer est plus personnel. Et une bonne pâtisserie, c’est comme un bon vin ou un bon chocolat. Tout le monde a besoin de se faire plaisir de temps en temps.» Gaël prend le temps d’expliquer et de parler des ingrédients, car «il y a une éducation à faire». Certains clients viennent encore seulement pour un anniversaire, mais le passage au quotidien se fait tranquillement. Si la pâtisserie était auparavant réservée aux fins de semaine ou aux occasions, Patrice a vu une évolution ces cinq dernières années: «On est maintenant beaucoup plus occupés en semaine!»

L’engouement pour la nouvelle pâtisserie se voit dans la multiplication des magazines sur le sujet, professionnels comme grand public, et des boutiques haut de gamme comme Rhubarbe et Crémy à Montréal, ou Olivier Poitier à Laval. «En région, y a encore du chemin à faire. Y a de très bonnes boulangeries, mais pas vraiment de pâtisseries, note Patrice. Mais ça prend un gros bassin de population pour pouvoir faire de l’extrême fraîcheur…» Il regrette cependant que le mouvement aille aux extrêmes: dans du haut de gamme hyper qualité ou du très industriel. «En France, c’est à ça qu’on assiste, avec le développement de la pâtisserie presque haute couture. J’espère qu’au Québec, le milieu va rester, car il en faut pour tout le monde.»

Trop de haut de gamme? Pas pour autant, nuance Patrice, qui pense que chaque pâtissier a sa signature et qu’il y a donc de la place pour chacun. «Plus on sera nombreux, plus l’univers de la pâtisserie sera riche», ajoute Gaël Vidricaire. À Québec, les pâtissiers ont commencé à organiser des rencontres informelles pour échanger sur ce qu’ils font ou parler des concours, «pour rester dynamiques». Parfois, des clients entrent dans la boutique de Gaël et lui disent: «Des pâtisseries comme ça, j’en avais juste mangé en Europe. Je savais pas que ça existait ici!» L’artisane voit ainsi la pâtisserie au Québec comme le vin ou le fromage il y a 20 ans: avec un bel avenir devant elle.

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Gaël Vidricaire
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