Des pâtisseries pour les privés de dessert
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Des pâtisseries pour les privés de dessert

Environ 300 000 personnes au Québec souffrent d’allergies alimentaires, dont 100 000 enfants. Le fils de Viviane Nguyen est l’un deux : il est allergique à une trentaine d’aliments, et le nourrir est un vrai casse-tête pour ses parents. Pour son anniversaire, devant l’impossibilité de lui trouver un gâteau sans allergènes, la notaire décide de faire des recherches et d’en préparer un elle-même. « En voyant son regard émerveillé devant le gâteau, de savoir qu’il pouvait goûter à tout en toute sécurité, ça m’a donné l’idée de partir une pâtisserie pour les enfants dans cette situation-là… »

Petit Lapin voit donc le jour en 2014 dans Westmount. Dans cette boutique aux tons pastels, Viviane propose de multiples pâtisseries véganes, sans gluten et sans aucun des dix allergènes alimentaires prioritaires (arachides, noix, sésame, soja, sulfites, moutarde…) Pas si difficile de réussir de bonnes pâtisseries avec ces contraintes pour Viviane, qui indique qu’il s’agit surtout d’une habitude : « Il faut comprendre la fonction de chaque ingrédient dans la recette, pour mieux le remplacer. Une fois qu’on a compris cette base, c’est très simple ! » Elle remplace ainsi la farine de blé par celle de riz ou de pois chiches, la pâte d’amandes par des graines de tournesol, le lait par une boisson de riz…

Suite aux succès de sa boutique, qui attire des clients venus de Toronto ou New York, elle a ouvert en octobre dernier un deuxième Petit Lapin dans Outremont, avec cette fois plus de place pour s’asseoir et manger, et une nouvelle offre de lunch. « Le concept fonctionne bien, donc on l’a gardé et amélioré en proposant maintenant des repas complets », indique la notaire de profession. Le menu a ainsi été complété avec des salades, soupes, toasts, pizzas, le tout toujours végane, sans gluten et sans les dix allergènes principaux.

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Pourquoi un tel achalandage? « Il y a comme une mode autour de ce type d’alimentation, pense Viviane. De manger plus santé, à base de plantes. Et puis les gens sont plus sensibilisés à la cause. Une dame est par exemple venue m’acheter un gâteau pour l’anniversaire de son fils, non pas parce qu’il était allergique mais parce que son meilleur ami l’était et qu’elle voulait inclure tous les enfants dans le repas. Il y a aussi des garderies qui nous appellent pour satisfaire tous les régimes alimentaires. Dans chaque événement, il y a toujours quelqu’un qui est allergique à quelque chose. Les gens ne veulent plus que cette personne soit le mouton noir privé de dessert. »

Petit Lapin fait des pâtisseries pour des anniversaires, des événements corporatifs, et entre 30 et 40 gâteaux de mariage par an – un chiffre qui augmente chaque année d’au moins 10%. De plus en plus de gens viennent à Petit Lapin pour le lieu et le goût et non pas pour les pâtisseries sans allergènes. Quant aux allergiques, ils ont enfin droit à leur dessert. « Avant, les gens qui ne pouvaient pas manger de produits laitiers se contentaient d’un fruit ou d’un sorbet pour le dessert. Plus aujourd’hui », souligne Viviane.

« Quand j’ai commencé il y a 5 ans, il n’y avait rien pour les allergiques. Je devais aller au États-Unis pour me procurer certains produits… Mais ces derniers temps à Montréal il y a une vague de nouveaux produits dans les supermarchés. Maintenant on est capables d’avoir des produits locaux sans allergènes, sans gluten et véganes. » Et si on pouvait auparavant trouver du végane en boulangerie, des produits sans les dix allergènes prioritaires étaient rares voire inexistants.

Quant aux pâtisseries classiques qui proposent des options sans allergènes, Viviane trouve ce choix peu avisé : « C’est un peu dangereux de faire ça : le risque de contamination dans la cuisine est élevé, et pour une personne très allergique ça reste dangereux. À Petit Lapin, il n’y a aucun allergène qui rentre. Les employés ne peuvent pas manger sur place, à moins de manger notre menu. Ça permet de garder un environnement sain en évitant la contamination. »

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Chez Patrice Pâtissier, dans Saint-Henri, on trouve des gâteaux véganes et sans gluten à côté des autres pâtisseries, histoire d’ « avoir des options pour tout le monde », explique le propriétaire Patrice Demers : « On a un classique sans gluten, un financier à l’érable à la farine de sarrasin. On a rajouté il y a quelques mois notre premier dessert végétalien et sans gluten : un petit pot aux amandes. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, je le vois comme un défi. Je fais beaucoup de recherches. »

Surtout, le souci du goût doit rester. Viviane indique qu’il y a encore beaucoup de préjugés envers les pâtisseries sans allergènes. « Les gens pensent que c’est pas bon sans gluten ou sans produits laitiers, ou que ça va être dur comme de la roche, sec comme du carton, avec un arrière-goût… » Chez Petit Lapin, elle propose des échantillons de ses créations pour faire goûter aux clients éventuels, qui ne voient finalement pas la différence entre une pâtisserie avec ou sans allergènes. L’atout de Viviane, c’est qu’elle n’a elle-même pas d’allergie et peut donc goûter et comparer avec les pâtisseries classiques.

Pour Patrice Demers, quels que soient les ingrédients ajoutés ou retirés, le goût doit toujours primer. « Si on veut être créatif, il faut être très sûr de soi, insiste Patrice Demers. Si on n’est pas certain, faut mieux rester dans des combinaisons plus classiques et continuer à expérimenter… »