Protéger les vins du Québec
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Protéger les vins du Québec

L’Indication géographique protégée (IGP) Vin du Québec a été entérinée à l’automne. Un pas de plus vers la protection et la mise en avant du terroir pour certains; une façon de mettre les vins dans des cases, selon d’autres…

«Je suis extrêmement heureux. C’est quelque chose de très noble que le gouvernement entérine.» La satisfaction d’Yvan Quirion est palpable alors qu’il parle de l’IGP Vin du Québec. Le Conseil des vins du Québec (CVQ), qu’il préside, planchait sur le dossier depuis trois ans. Son avancement avait notamment été ralenti par les changements de gouvernements, mais le dernier aura finalement été le bon. «C’est le premier dossier que le ministre Lamontagne a signé à son arrivée au MAPAQ!» s’exclame Yvan.

Si une certification Vin du Québec existe depuis plusieurs années, cette IGP souligne désormais la reconnaissance officielle des gouvernements provincial et fédéral. «Comme c’est une loi, l’IGP sera inscrite dans les accords internationaux dont le Canada fait partie», explique le président du CVQ. L’appellation a été construite sur le modèle de celui de l’Ontario et sur l’IGP française Pays d’Oc. «Mais on veut rester très québécois», assure Yvan, qui possède le Domaine Saint-Jacques, en Montérégie. Cette IGP assure notamment au consommateur que les vins sont faits à 100% de raisins cultivés au Québec. Il arrive en effet que certains vignerons complètent leur récolte avec des fruits achetés ailleurs, «mais il y en a très peu, nuance Yvan. Et quand ça arrive, c’est surtout en mode survivance, à la suite de pertes».

Va-t-on voir les prix des vins labellisés augmenter? «Pas du tout, affirme le président du CVQ. C’est l’offre et la demande qui vont jouer sur le prix, pas l’appellation.» Pour obtenir l’IGP, les vins doivent respecter un cahier des charges – la grille d’évaluation est pour le moment la même que pour la certification Vin du Québec. S’en vient ensuite une dégustation des vins candidats par un comité d’agrément. «La qualité des vins québécois s’est énormément améliorée ces cinq dernières années, indique Yvan. Cette qualité, c’est pas une option, c’est un choix. On est dans une démarche d’amélioration continue.»

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Les vins nature, bande à part

Sur la centaine de vignobles québécois produisant des vins destinés à la vente, 42 ont demandé le dossier de candidature pour l’IGP. Parmi eux, le domaine Les Pervenches, dans les Cantons-de-l’Est. Mais si la première étape – l’évaluation de la récolte – a déjà eu lieu, le vignoble hésite à aller plus loin dans le processus. Le premier obstacle: l’argent. «On est déjà certifiés biologique et biodynamique, et c’est plus important pour nous d’avoir ces certifications-là que l’IGP Vin du Québec, explique la vigneronne Véronique Hupin. Trois labels, ça fait beaucoup d’argent et de bureaucratie. C’est lourd pour une petite entreprise.» Le vignoble débourse déjà plusieurs milliers de dollars par an pour ses certifications, et l’IGP coûterait 1000$ en plus – même si le CVQ promet à ses cotisants un remboursement partiel.

L’autre raison? «Comme nos vins sont très nature, je ne suis pas sûre qu’ils passeraient le comité d’agrément, confie Véronique. Mais on n’est pas préoccupés par le fait de ne pas accéder à l’IGP. Les vins nature, on a toujours été un peu une bande à part…» Même son de cloche chez Frédéric Simon, du domaine Pinard & Filles: «Il y a des frais de dossier, il faut envoyer des échantillons pour l’analyse… Je ne vois pas l’utilité de m’ajouter de la bureaucratie pour qu’un comité essaie de comprendre mes vins et de les rentrer dans une case.»

Parlant de leur vignoble en Estrie, sa femme s’est vu dire par une personne «proche de l’IGP»: «Vous êtes près de Magog? C’est un terroir de bulles, vous devriez faire des bulles.» Bref, Frédéric n’a aucune intention de demander l’IGP. «Ce que j’ai toujours aimé au Québec, c’est qu’on fait ce qu’on veut. Je veux garder cette liberté de faire mes vins comme je veux, de m’amuser, et pas de devoir planter du frontenac parce que c’est comme ça qu’il faut faire dans ma région. J’ai peur qu’éventuellement des bureaucrates décident à notre place ce qu’on doit faire. Ça va aller vers des encépagements. On regarde et on jalouse le système européen, mais on n’a pas besoin de le copier! Au Québec, y a pas deux vignobles pareils. Pourquoi vouloir tout définir, coller des étiquettes?»

De la pensée magique

Aux Pervenches, les vignerons doivent encore décider s’ils poursuivent ou non le processus pour obtenir l’IGP. Ils n’écartent pas la possibilité de filtrer une de leurs cuvées pour qu’elle passe au comité d’agrément. «Par solidarité au mouvement. On n’est tellement pas nombreux, il faut se soutenir…» Cette appellation, ils sont complètement pour. Une excellente initiative pour aller chercher plus de notoriété pour les vins du Québec et pour que les consommateurs sachent ce qu’ils boivent, pense Véronique: «C’est le fun, on veut expliquer aux gens qu’on a des terroirs ici, qui s’expriment de différentes façons.»

Des fonds gouvernementaux vont d’ailleurs être alloués au CVQ pour faire la promotion des vins de l’IGP. Frédéric, dont les bouteilles Pinard & Filles s’écoulent chaque année en un claquement de doigts, a bien conscience de ne pas représenter le cas de la plupart des vignobles québécois, mais il ne pense pas pour autant que les vignerons aient besoin en priorité de pub. «Les fonds, ça devrait nous aider pour payer les taxes foncières et la réglementation, plutôt que pour la promotion. Si le vin est bon, il va se vendre. Les gens semblent penser qu’avec l’IGP, le marché mondial va s’ouvrir. C’est de la pensée magique. Un client à New York, qu’on ait ou pas une appellation, il s’en fout; il veut surtout du vin qui lui parle. C’est pas trois lettres sur la bouteille qui vont aider à vendre plus…»

Une IGP qui ne changera rien non plus à la traçabilité du raisin, pense Frédéric, car celui qui veut tricher pourra toujours le faire – «la traçabilité, c’est la confiance que t’as dans le vigneron». Pinard & Filles travaille en bio, mais n’a pas la certification non plus: «C’est un lobby. Tout ça, c’est de la politique pour moi. Mais si l’IGP aide 30% des vignerons, tant mieux. Tout ce que je souhaite, c’est que ceux qui font du bon vin arrivent à en vivre.» Quant à la certification Vin du Québec, elle devrait être amenée à disparaître; au CVQ, on espère un millésime 2019 100% IGP. En attendant, le Conseil travaille déjà sur de futurs labels pour les sous-régions du Québec, comme en France.

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