À une époque où l’on parle beaucoup d’architecture verte (respectueuse de l’environnement et soucieuse de donner au citadin un cadre de vie plus sain) comme si c’était quelque chose de tout nouveau, on est surpris de constater que les principes du développement durable, d’une part, ne datent pas d’hier et, d’autre part, sont contenus en germe dans une architecture arabe de plus d’un millénaire. L’architecte algérien Miloud Boukhira travaille depuis longtemps à la reconnaissance d’une culture architecturale traditionnelle qui est riche en enseignements. En Algérie, la réalisation du Centre médico social et logements de Ghardaïa lui a valu le Prix national en architecture urbaine pour la meilleure réalisation de la décennie 1980. Installé au Canada depuis une quinzaine d’années, outre la pratique de l’architecture, il a eu l’occasion de donner de nombreuses conférences. La prochaine, intégrée à la programmation du Festival du monde arabe, nous montre comment l’architecture islamique est parvenue non seulement à créer une cohésion sociale forte, mais aussi à influencer l’architecture occidentale moderne.
UNE ARCHITECTURE À TAILLE HUMAINE
Malgré des dizaines de siècles, à la différence des villes médiévales européennes, beaucoup de villes arabes ont survécu, conservant leur configuration historique tout en restant des lieux de vie. Miloud Boukhira l’explique en soulignant que l’architecture arabe traditionnelle est à échelle humaine. "C’est une architecture qui pousse les gens à se rencontrer." Les villes sont construites autour d’un centre, où l’on retrouve les équipements collectifs les plus importants (la grande mosquée et le marché) et vers lequel convergent toutes les artères principales. Celles-ci se ramifient en rues secondaires qui mènent à différents quartiers, formés par un maillage très serré de maisons de deux étages construites en grappes autour d’impasses. Cette densité du tissu urbain élimine le besoin de véhicule en rendant tout accessible à pied. En outre, elle favorise le rapprochement humain (les maisons se touchant, on se parle facilement d’un toit-terrasse à un autre).
UNE ARCHITECTURE INTIMISTE
Paradoxalement, pour si fédératrice qu’elle puisse être, cette architecture laisse une grande part à la vie privée de chacun. "Les villes étaient construites pour donner une réalité spatiale aux préceptes de l’islam, comme l’égalité entre les hommes ou le respect de l’individu", précise Miloud Boukhira. C’est la raison pour laquelle les façades des édifices sont identiques (éliminant toute distinction apparente entre riches et pauvres) et dépourvues de fenêtres (lorsqu’il y a des ouvertures sur l’extérieur, comme en Égypte, elles sont occultées par des moucharabiés). De la même façon, l’architecture arabe évite les vis-à-vis. Par ailleurs, la centralité étant un thème fort dans la culture arabe (symbole d’unification), chaque maison est construite autour d’une cour intérieure, wast-ad-dar (littéralement, "centre de la maison"), qui va servir à la fois de centre névralgique de la vie de famille, de puits de lumière et de couloir d’aération naturel. Tout autour, des galeries de circulation relient les pièces entre elles. Celles-ci sont des lieux de vie multifonctionnels. Dans des cas extrêmes, comme celui des villes de la vallée du M’Zab, en Algérie, les meubles sont absents. On mange, dort et vit à même le sol.
ARCHITECTURE TRADITIONNELLE OU MODERNE?
Pièces multifonctionnelles, puits de lumière, centralité spatiale, ventilation naturelle… On croirait entendre parler de notre architecture occidentale contemporaine, où d’immenses atriums centraux améliorent la luminosité de l’espace tout en en donnant une meilleure lecture (voir nos bâtiments publics récents, comme les nouveaux pavillons universitaires). En fait, l’apport considérable que l’architecture arabe représente a été souligné depuis longtemps par les plus grands architectes contemporains. À la suite de son séjour à Alger dans les années 1930, Le Corbusier s’exclamait déjà: "Ils ont pu se loger si nombreux et à l’aise dans les ombres diverses de la cour, dans l’espace des horizons de la terrasse, parce que cette architecture arabe détient les secrets des dimensions humaines." L’architecte français fut le premier à réinterpréter l’architecture arabe pour intégrer certains de ses principes à l’architecture moderne. Ainsi, avec son Unité d’habitation de Marseille, il a composé une sorte de quartier arabe vertical, avec ses 360 appartements en duplex, reliés par des "rues" intérieures, ses commerces et ses équipements publics sur un toit en terrasse.
Alors que la pénurie chronique de pétrole doit changer notre façon de concevoir la ville, alors qu’après les bâtiments LEED, on parle de développements urbains LEED (projets urbains respectant l’environnement, la qualité de vie et la santé de ses habitants), l’architecture arabe constitue plus que jamais un modèle d’urbanisme à prendre sérieusement en considération. Après l’échec de son interprétation par l’architecture moderne (voir les barres d’habitations déshumanisantes de l’après-guerre), il reste encore à savoir comment appliquer ses enseignements à nos valeurs économiques, sociales et culturelles…
Racines de pierres – L’architecture arabe ou l’art de provoquer la rencontre, conférence de Miloud Boukhira
Le mercredi 7 novembre à 18 h
Au Gesù – Centre de créativité, Espace Aline Letendre, 1200, rue de Bleury
Entrée libre – www.festivalarabe.com