NAISSANCE D’UN MANIFESTE
En septembre dernier, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal lançait un appel à la population pour proposer des idées d’aménagement du carrefour Parc/des Pins, libéré par la destruction de l’ancien échangeur. À cette occasion, un regroupement de six professionnels de l’aménagement urbain (architectes, promoteurs et universitaires) a élaboré une proposition, sous forme d’un manifeste plutôt que d’un projet réel. Par son côté provocateur et parfois caricatural, ce manifeste ne veut pas se limiter à la question de l’aménagement du carrefour Parc/des Pins, mais souhaite susciter une réflexion sur les moyens à adopter pour assurer le développement urbain de la Métropole. Le constat de départ traduit la frustration de certains professionnels. "Les projets ont du mal à voir le jour. Il y a des lourdeurs qui brident la créativité. Montréal a des ambitions louables, mais ne semble pas en avoir les moyens financiers…", se désole l’architecte Benoit Dupuis. Pourtant, le manifeste ne veut pas faire le procès de la Ville. "Notre but est simplement de faire réagir", précise Mario Brodeur, architecte et consultant en patrimoine.
LA PROPOSITION
La proposition contenue dans le manifeste a le grand mérite d’être d’une simplicité accessible à tous. Plutôt que de les vendre, la Ville louerait ses terrains selon un bail emphytéotique, pour qu’y soient construits des immeubles locatifs. Les revenus de location et de taxation permettraient ensuite de financer des travaux d’aménagement public. Ainsi, pour humaniser un carrefour qui oblige le piéton à traverser jusqu’à 15 voies de circulation automobile, plusieurs espaces publics majeurs seraient aménagés. Il y aurait d’abord deux importantes places publiques, de part et d’autre de l’avenue du Parc, pour faire le lien entre la ville et la montagne. En outre, une longue promenade verte courrait le long de l’avenue des Pins, facilitant ainsi la circulation piétonne d’est en ouest. Pour finir, les immeubles construits sur les terrains municipaux devant être à vocation locative, ce serait la solution pour densifier le centre de Montréal, réduisant ainsi les distances urbaines et donc le recours à l’automobile. L’idée du manifeste serait de généraliser ce principe d’aménagement aux autres terrains municipaux vacants de la Métropole.
UN CANULAR?
Si la proposition semble séduisante, sa simplicité peut parfois faire douter de son sérieux. Il y a notamment cette tour de 40 étages qui est décrite dans le manifeste. Dressée au bout de l’avenue du Parc, dans une perspective qui la met nettement en valeur, ce serait un édifice signalétique qui marquerait un carrefour important de la ville et identifierait la limite est de la montagne. Mais surtout, avec son architecture articulée, sa texture organique et son basilaire transparent qui épouse le mouvement de la montagne, ce serait un symbole iconographique de la créativité montréalaise. Pourtant, si originale soit-elle, cette tour est une aberration urbaine. D’abord, elle est en contradiction avec la tendance de l’architecture des années 2000 qui prône l’intégration à l’environnement, plutôt que l’exubérance. Ensuite, elle contrevient tout simplement aux règles du plan d’urbanisme qui limite la hauteur des bâtiments pour protéger la vue sur le mont Royal. Même le collectif reconnaît le côté provocateur du projet. "Ce n’est pas la hauteur qu’il faut retenir, mais plus l’intention qu’il y a derrière", explique Benoit Dupuis.
MATIÈRE À RÉFLÉCHIR
L’intention, quelle est-elle? D’amener les pouvoirs publics, les professionnels et la population à débattre pour faire "bouger les choses dans le bon sens". Car derrière son côté iconoclaste, le manifeste soulève des questions essentielles. La tour de 40 étages est une solution pour densifier le centre, dans un objectif de développement durable qui est inscrit au plan d’urbanisme de Montréal. Mais, comme le souligne André Lavallée, responsable de l’aménagement urbain et du transport collectif à la Ville de Montréal, "encore faut-il savoir où densifier". La question est également de savoir comment. Doit-on opter pour des tours ou doit-on choisir d’étaler les constructions, quitte à réduire l’espace public? Le problème devient alors celui de la rentabilité. "Pour des raisons d’opportunité de marché, un propriétaire va souvent préférer garder son terrain plutôt que d’y construire, quitte à y faire un stationnement", remarque Mario Brodeur. La solution est-elle alors que la Ville gère elle-même son patrimoine immobilier? "À la suite des pertes que des organismes publics de gestion immobilière ont connues à la fin des années 80, les citoyens ont jugé sévèrement la Ville, estimant qu’il n’était pas dans ses attributions de prendre des risques dans le domaine immobilier", se souvient André Lavallée. Mais peut-être y aurait-il une façon de mieux répartir les risques… Le débat vient de s’ouvrir…