Vie

Piment fort : Chile

Lorsqu’on parle de piment fort, les papilles frileuses se rétractent tandis que celles des amateurs de sensations fortes s’excitent. Petite jasette avec David Ferguson, chef du Jolifou, autour d’un aliment pas toujours piquant, mais invariablement intrigant.

En passant la porte du Jolifou, ce charmant restaurant du quartier Rosemont, on remarque d’abord les répliques de vieux jouets mécaniques sur les tables et aux murs. David Ferguson, le chef-propriétaire, a dû expliquer ce choix fantaisiste des milliers de fois; il se fait toutefois un plaisir de le justifier à nouveau. Le jour où il a ouvert le restaurant, avec les "moyens du bord", il avait disposé des jouets sur les tables pour égayer l’atmosphère. Devant les sourires qui se sont dessinés sur les visages des convives, il a conclu que les jouets étaient là pour rester. Pour le chef d’origine torontoise, ils incarnent maintenant l’esprit du resto. "Un objet ordinaire sorti de son contexte et mis en valeur peut se transformer en une oeuvre. Marcel Duchamp l’a fait avec son bol de toilette. Moi, je le fais avec mes jouets… et aussi avec mes ingrédients fétiches, les piments."

JOUER AVEC LES ÉPICES

Le mot "chile" vient du nahuatl, la langue des Aztèques, et désigne la famille des piments forts. Abondamment utilisé pour rehausser les plats, le chile est aujourd’hui une des épices les plus consommées dans le monde, même dans les pays où l’on cultive du poivre. Peu habituels dans la cuisine française, les piments forts jouent pour David Ferguson un rôle de boîte à surprise, à l’image de celles qu’on trouve dispersées dans son resto. "La cuisine française est parfois si subtile qu’on ne goûte plus rien, tranche-t-il. Avec les piments, j’aime donner aux plats un "petit zing!" qui fait une danse dans la bouche", poursuit le chef torontois dans un français hésitant, mais non moins coloré.

Toutefois, au lieu de miser sur le versant épicé du piment, il en fait ressortir la saveur qui peut être sucrée, fumée, chocolatée ou fruitée, selon la variété de chile utilisée. Au chapitre des variétés de piments, le terrain de jeu est vaste: piment poblano, ancho, cascabel (qui fait un joli bruit de castagnettes lorsqu’il est sec), chipotle, guajillo, pasilla, tous se taillent une place au menu du Jolifou, aux côtés de pièces de viande nobles comme la joue de veau, la souris d’agneau ou le confit de canard. De ces mariages habiles naissent des goûts francs mais tout en douceur qui font aussi le bonheur de la sommelière du Jolifou, qui aurait du mal à faire apprécier les vins à des palais enflammés.

Si David Ferguson possède une sensibilité et des techniques bien françaises, il doit sa fascination pour les ingrédients préhispaniques à un stage effectué dans un grand restaurant du Nouveau-Mexique. L’expression "cuisine fusion", que plusieurs chefs ont bannie de leur vocabulaire avec un soupçon de condescendance, le chef ne se gêne pas pour l’utiliser. "Lorsque Marco Polo voyageait en Asie, c’était déjà de la cuisine fusion. Pourquoi l’envisager comme une mauvaise chose?" David Ferguson se moque visiblement du décorum et des discours guindés qui enrobent parfois la gastronomie. "Trop de restos se prennent trop au sérieux. On installe les clients dans un cadre coincé et intimidant et on prend de grands airs pour leur parler du menu. Hey, it’s just food!" s’exclame celui qui prône une expérience gastronomique mais décontractée. Avec des saveurs qui font "zing!" et des jouets qui font "dong!", nul doute qu’à sa table, la soirée est aussi jolie qu’un peu folle.

TRUCS ET CONSEILS DU CHEF /

– Lorsqu’on l’achète séché, le piment doit avoir la même texture que le cuir. S’il est trop dur ou cassant, c’est qu’il est trop vieux.

– Les piments séchés s’achètent dans les épiceries latino-américaines ainsi que dans certains marchés publics.

– Une bonne façon d’utiliser les piments forts sans embraser le palais est de les infuser. David Ferguson infuse, par exemple, la peau du piment cascabel dans de la crème chaude, pour ensuite en faire une pâte gorgée de saveurs.

– Pour conserver les piments longtemps, il faut les emmailloter dans une pellicule plastique et les garder au frais.

– Lorsqu’il utilise un piment séché, le chef le fait d’abord griller au four quelques instants pour en exhaler les saveurs. Il le plonge ensuite dans l’eau froide et le fait bouillir. Le piment se réhydrate, en plus de se débarrasser de son amertume.

RECETTE /

Sauce au chipotle du Jolifou

INGRÉDIENTS

6 tomatilles plutôt fermes (les tomatilles, ou tomatillos, sont de petites tomates vertes un peu amères, de la même famille que les cerises de terre)

4 tomates rouges

1 oignon

1 piment chipotle en conserve dans de la sauce adobe (Herdez ou autre marque) ainsi qu’un peu de sauce

Ail rôti

Sel

Huile d’olive

PRÉPARATION

Préchauffer le four à haute température.

Couper les tomates et les tomatillos en deux et les disposer, côté chair vers le haut, dans une poêle en fonte. Placer la poêle au four afin de noircir légèrement les légumes, puis continuer de les cuire quelques instants sur le rond à plus basse température.

Couper l’oignon en dés et le caraméliser à la poêle.

Mélanger tous les ingrédients au robot culinaire, assaisonner et ajouter un filet d’huile d’olive.

Vous pouvez accompagner toutes vos viandes ou vos poissons de cette sauce savoureuse.

Le Jolifou
1840, rue Beaubien Est
Tél.: 514 722-2175