UN BEAU PROJET…
Cela semblait pourtant être un beau projet que celui de Griffintown: 1,3 milliard de dollars investis à Montréal, près de 4000 nouveaux logements, autant d’emplois créés, une nouvelle chaire d’études en développement durable pour l’École de technologie supérieure, une ligne de tramway, une belle salle de spectacle de 3000 places, des cinémas, des surfaces commerciales, des bureaux, des hôtels… Tout le monde donnait même l’impression de l’approuver, des organismes locaux, comme RESO (Regroupement économique et social du Sud-Ouest), jusqu’à la Ville de Montréal, en passant par Héritage Montréal, la Chambre de commerce de Montréal… Ça devait même se faire. La Ville en avait accepté le principe et l’arrondissement du Sud-Ouest devait se charger de concevoir un Programme particulier d’urbanisme pour permettre sa réalisation.
Et voilà qu’une petite voix importune vient tout gâcher. Le Conseil du patrimoine de Montréal trouve à redire aux ambitions de la Ville à Griffintown, sous prétexte qu’on veut y fermer d’insignifiantes petites rues et déplacer quelques vieux immeubles délabrés. Après tout, qu’est-ce que Griffintown, sinon un quartier sinistre, laid et enclavé, dont le zonage est industriel depuis 1963? Il était grand temps de faire quelque chose! Heureusement, ce projet semble devoir se réaliser inéluctablement. La Ville a réaffirmé son intention d’aller de l’avant et de ne pas faire appel à l’Office de consultation publique de Montréal. Après tout, le Conseil du patrimoine de Montréal n’est qu’un organisme consultatif, qui n’a donc aucun pouvoir décisionnel…
L’IDENTITÉ D’UN QUARTIER EN QUESTION
Pourtant, il arrive que de ces petites voix indésirables, qui disent parfois tout haut ce que tout le monde pense tout bas, sortent quelques vérités dont la connaissance nous évite de commettre de regrettables erreurs. Alors, que peut-on lire à travers l’avis défavorable du Conseil du patrimoine?
D’abord, sur le plan patrimonial, le quartier de Griffintown a beaucoup plus de valeur que son triste état actuel ne le laisse présumer. En faisant partie du premier quartier industriel de Montréal, il est en effet le témoin d’une époque où Montréal était le coeur économique du Canada. Sa préservation s’inscrit donc dans une volonté de conserver une mémoire collective québécoise, voire internationale (dans le cadre d’une inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO).
Or, comme le souligne Claudine Déom, responsable du programme M.Sc.A. Conservation de l’environnement bâti de l’Université de Montréal, "l’enjeu patrimonial de Griffintown va au-delà des bâtiments qui s’y trouvent, pour se situer à l’échelle urbaine. Pour conserver l’identité du quartier, il faudrait donc toucher le moins possible à sa morphologie, constituée par la trame de ses rues et la hauteur de ses bâtiments".
Mais, au-delà de cet aspect patrimonial, conserver le design urbain actuel, c’est aussi garantir une certaine qualité de vie à Griffintown. Raphaël Fischler, professeur d’urbanisme à l’Université McGill, fait ainsi remarquer qu’en "agrandissant les îlots urbains, comme il est prévu dans le projet actuel, le promoteur va créer un cadre peu propice à la vie".
PRENDRE LE TEMPS…
Ce qu’a pu constater le Conseil du patrimoine, c’est qu’en dépit de ses efforts pour bien faire, le projet proposé pour Griffintown ne respecte pas l’intégrité d’un espace qui participe de l’identité historique de Montréal. Le promoteur a beau avoir amélioré son projet initial (notamment en réduisant le nombre d’espaces commerciaux et de tours et en affichant un souci pour le développement durable), ce qu’il propose demeure un ensemble d’îlots commerciaux surdimensionnés, flanqués de tours d’habitation et de bureaux. Pourtant, cette critique n’a rien de négatif. D’ailleurs, il est à noter que le Conseil du patrimoine reconnaît la nécessité de revitaliser Griffintown. Le tout est de procéder de façon à ne pas gommer l’intégrité du quartier.
Beaucoup pensent que la Ville de Montréal devrait se donner plus d’options pour réaliser ce genre de projets d’envergure. Déjà, avec le concept du nouveau coeur du Quartier des spectacles, elle s’en remettait aux concepteurs du Quartier international plutôt que de lancer un appel d’offres ou de prendre en compte le travail du Partenariat du Quartier des spectacles. Voici qu’aujourd’hui il faut vite transformer Griffintown, sans autre consultation publique que celle de l’arrondissement du Sud-Ouest. Certes, ce n’est pas tous les jours qu’un promoteur investit 1,3 milliard de dollars à Montréal. Mais, comme le dit Raphaël Fischler, "après l’achèvement de la Cité du Multimédia, le développement doit logiquement se faire vers l’ouest, donc à Griffintown". Il n’y a donc pas péril en la demeure. Après tout, si Montréal se soucie de son design urbain, comme son statut de Ville UNESCO de design le laisse entendre, il est logique qu’elle s’en donne les moyens et le temps…