Trop loin, trop dangereux, trop pauvre, trop ennuyant. Mélanie Auclair, chanteuse de Magnolia, n’a que faire de ces petites remarques pleines de clichés, elle est comblée à Saint-Henri. "C’est calme, dit-elle. À part de petites tavernes au coin des rues, il n’y a pas beaucoup de bars. Ce n’est pas submergé de restaurants, de boutiques et d’endroits branchés. On n’est pas constamment sollicités de toutes parts et ça, ça fait du bien. Ici, ce sont les espaces verts et les gens qui sont à l’avant-plan. Non pas les places hip."
Inévitablement, parler du quartier Saint-Henri, c’est parler du roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy. "Beaucoup de résidents du quartier sont des ouvriers, des gens qui travaillent fort. Du moins, c’est l’impression que j’ai. L’image de Bonheur d’occasion me revient constamment quand je me promène. On la sent encore, cette époque ouvrière, à la fois chez les gens et dans l’architecture. Ça rend les balades très romantiques!"
S’il y a encore des ouvriers dans le quartier, les usines, elles, se sont transformées. De plus en plus d’artistes débarquent à Saint-Henri pour vivre dans des lofts à même ces vestiges prolétaires. Heureusement pour Mélanie, ce n’est pas toute la communauté artistique qui s’est donné le mot. Ancienne résidente du Plateau, elle était lasse d’y croiser constamment les gens de son univers. "Je décroche vraiment ici. Quand je sors pour aller acheter des croissants, je ne tombe pas sur la moitié du monde avec qui je travaille. C’est mieux comme ça, parce que le matin, je suis un peu de mauvaise humeur, je ne suis pas particulièrement sociable…"
UN PETIT TOUR À SAINT-HENRI
A-t-elle une vie sociale ici? Elle connaît bien ses voisins, mais ce n’est pas une vie de quartier. Elle avoue regretter sa vie à la Saint-Germain-des-Prés, qu’elle a perdue depuis la triste fermeture du Va-et-Vient en avril dernier. "À une époque, j’habitais au-dessus du bistrot. J’avais une superbe vie de café. C’était ma cafétéria, mon club social et ma vie culturelle. Une foule d’artistes y sont passés, dont Malajube et Karkwa. Moi-même, je ne sais plus combien de fois je me suis produite sur cette scène."
La disparition du Va-et-Vient a certes changé la vie culturelle du quartier, mais l’espoir subsiste encore. Pensons tout de suite au Théâtre Corona, non loin du feu café. "C’est une salle de spectacle magnifique, avec une très belle âme. J’y ai joué souvent, j’accompagnais Lhasa de Sela au violoncelle. À mon avis, il se passe trop peu de choses à cet endroit. C’est tellement dommage."
Si les spectacles de musique ont la vie difficile à Saint-Henri, ce n’est pas le cas pour les enregistrements de disques. Ce quartier abrite une véritable institution du son, le Studio Victor, rue Lacasse. C’est là que Magnolia a enregistré son premier album éponyme. Situé dans l’ancienne usine de RCA Victor, l’endroit est un bijou historique. "Je suis extrêmement attachée à ce studio. Tu sens l’histoire des lieux quand tu es à l’intérieur. Pour moi, c’était évident: c’est là que je voulais enregistrer. D’autant plus que j’habite à côté!"
Lorsqu’elle n’est pas en studio, on risque fort de la voir sur scène, vêtue d’une charmante robe de La Gaillarde. "C’est une friperie, ils font de la mode récup’. J’y vais souvent, j’aime bien encourager l’économie du quartier."
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MON LOFT VERT DANS SAINT-HENRI
La green attitude jusque dans les moindres recoins du loft de Mélanie Auclair. photo: Dominic Gauthier |
Rue Notre-Dame Ouest, Mélanie Auclair habite dans un joli loft rempli… d’ordures! "Mon propriétaire est un être absolument fantastique. C’est un grand récupérateur, un ramasseux de poubelles, et ce qu’il arrive à faire est spectaculaire. Ma porte de garde-manger, c’est une vieille porte de métro, et les boiseries d’une de mes fenêtres viennent d’un lit." La pièce à voir, dont tous les visiteurs raffolent: la salle de bain. L’évier qui s’y trouve est à tout le moins original. Il est composé du bac intérieur d’une vieille sécheuse, sur lequel est fixé un cul-de-poule en inox. Le tout tient sur un vieux cendrier public. Et si un joli bric-à-brac constitue une partie de la déco, la musique s’illustre en ces lieux. Des guitares et des violoncelles gisent nonchalamment. Il s’en dégage une ambiance qui ressemble bel et bien à du bonheur, et pas que d’occasion!