C’est un simple chandail en coton ouaté couvert de petits carrés dessinés à la main. De près, on constate les menues imperfections d’un dessin à l’encre. Le motif n’est pas uniforme: il y a des carrés qui manquent, d’autres qui sont remplis de couleur. "C’est une représentation visuelle abstraite de la manière dont la maladie nous affecte", explique Tiga, qui a créé l’imprimé. "Les carrés manquants symbolisent les personnes disparues, et les carrés de couleur, les personnes affectées par la maladie." C’est la contribution bénévole du D.J. montréalais à la campagne Fashion Against AIDS de H&M, dont 25 % des recettes serviront à financer des programmes de prévention du sida à travers le monde. Vous avez une impression de déjà-vu? Nous aussi.
L’année dernière, GAP lançait des produits étiquetés (Product) RED dont une part des profits était destinée à la lutte contre le sida en Afrique. Une armée de people (Christy Turlington, Jennifer Garner, Chris Rock, etc.) avait enfilé des t-shirts (Product) RED de GAP et pris la pose devant l’objectif d’Annie Leibovitz. "Ce qui distingue notre initiative de celle de GAP, c’est son exécution: les vêtements ont été dessinés par les artistes eux-mêmes et ils sont en coton biologique", affirme Laura Shankland, porte-parole de H&M. N’empêche, l’initiative de H&M s’inscrit dans une tendance lourde: celle du marketing des grandes causes.
PHILANTHROPIE INTÉRESSÉE
Depuis quelques années, les multinationales montrent patte blanche sous la pression de l’opinion publique. Selon les spécialistes du Cause Branding (tels que Jeff Terry, v.-p. de l’agence Cone), la responsabilité sociale des entreprises serait particulièrement importante pour les 12-24 ans, une génération sensible à la justice et à l’écologie. C’est aussi le groupe cible de H&M, qui cherche à conscientiser les 15-25 ans sur la propagation de la maladie. "Près de la moitié des personnes infectées font partie de ce groupe d’âge, note Mme Shankland. Nous ne sommes pas la première compagnie à en parler, mais plus on est, mieux c’est."
Tiga, lui, croit qu’il ne sert à rien de se montrer naïf: "Je ne suis pas un grand ami des multinationales, mais elles sont là pour rester", dit-il. Il ajoute: "Bien sûr que ce genre de campagne est un outil de marketing. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bonnes intentions derrière. Les grandes compagnies ne sont pas là pour faire le bien, mais pour faire des profits. Et pourtant, je crois qu’il y a de plus en plus de gens en haut de la pyramide, comme Warren Buffett et Bill Gates, qui redonnent à la société une part des profits accumulés." Reste qu’il est très heureux d’avoir été contacté par H&M, dont il adore les collections. "J’aimerais contribuer plus souvent à une bonne cause, mais je suis paresseux… J’étais content qu’ils viennent me chercher. Parce que l’initiative venait de H&M, je savais que ça aurait un impact." Et puis la cause le touche, puisque Tiga y a perdu quelques amis et quelques idoles. "C’est une maladie qui a atteint beaucoup de gens créatifs."
UN "TIGA" D’ICI PARMI LES PEOPLE
Il n’est pas le seul à se sentir interpellé: outre les Rihanna et Timbaland, les Scissor Sisters, Good Charlotte, Rufus Wainwright, Justice et Jade Jagger ont aussi participé au projet. C’est dire que le coton ouaté de Tiga est en illustre compagnie. Ce qui n’impressionne pas particulièrement le principal intéressé: "Je ne suis pas un grand fan des célébrités", affirme celui qui fait cependant partie des happy few, même si on ne le reconnaît pas vraiment dans la rue (il fait noir dans les clubs…). "Ce qui m’intéresse dans la célébrité, c’est la liberté que cela me donne en tant qu’artiste", explique le D.J.-producteur natif de Montréal, où il était justement en train de préparer son deuxième album au moment de la conversation (ce sera plus disco, uniforme, musical et mieux écrit que Sexor, promet-il déjà). Terre à terre, il conclut: "Je ne suis pas très idéaliste pour ce qui est de ma carrière. J’ai fait de gros trucs pour Nokia et des compagnies de cigarettes. Je ne dis pas que c’est bon ou mauvais, c’est une décision personnelle. C’est très difficile de vivre une vie d’artiste indépendant. Si, en cours de route, tu peux avoir de l’aide financière en prêtant ton identité… c’est ta chance de continuer à créer."
La collection Fashion Against AIDS sera dans les magasins H&M dès aujourd’hui, le 31 janvier.