Vie

Prix de Rome : Bâtisseurs de perceptions

Ils ont été récompensés plusieurs fois pour la pertinence de leurs réalisations. Le Conseil des Arts du Canada vient de leur attribuer le Prix de Rome. Pourtant, on les connaît peu, voire pas. Qui donc se cache derrière l’atelier TAG?

Manon Asselin était loin de se destiner à l’architecture. C’est la médecine qu’elle avait choisie. Puis, par hasard, alors qu’elle fréquentait beaucoup la bibliothèque d’architecture de l’Université McGill, elle se découvrit un intérêt croissant pour la chose. Du coup, lorsqu’elle changea d’orientation, c’est sous un angle différent de celui de ses homologues -qui se perçoivent comme des "bâtisseurs" – qu’elle aborda la profession d’architecte. "Je voulais faire une thèse de fin d’études sur le fait que les architectes, avant la période moderne, étaient souvent aussi des médecins, ce qui démontre qu’à l’époque, le rôle de l’architecte était de veiller au bien-être du corps et de l’esprit, et non pas juste de bâtir", se souvient-elle.

Pendant ses études à l’Université McGill, elle sera fortement influencée par le discours d’un de ses professeurs, Alberto Perez-Gomez, qui lui fera découvrir l’architecture sous l’angle d’une phénoménologie de l’espace. Il ne s’agit plus de regarder un bâtiment comme un simple espace fonctionnel, mais comme un espace qui va définir nos perceptions et donc nous définir nous-mêmes. C’est sans doute ce parcours particulier qui va fonder l’originalité de la démarche conceptuelle de l’atelier TAG, ce bureau que Manon Asselin va créer avec son conjoint, Katsuhiro Yamazaki, en 1997. Au fil des années, l’atelier TAG saura développer un langage qui lui est propre, dans lequel la mise en scène de l’environnement et le travail des matières, comme vecteurs de modification de nos perceptions, sont omniprésents.

UNE PHÉNOMÉNOLOGIE DE L’ARCHITECTURE

L’atelier a reçu pas moins de cinq prix (de l’Ordre des architectes du Québec et du Gouverneur général, entre autres) pour deux de ses réalisations, le Théâtre du Vieux-Terrebonne et la bibliothèque de Châteauguay. Ce qui frappe, lorsqu’on considère ces deux bâtiments, c’est leur remarquable intégration à leur environnement. Outre une fenestration qui efface la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, les lignes des constructions épousent étonnamment la topographie des lieux. "La distinction entre l’architecture et l’environnement doit rester floue", souligne Manon Asselin.

Par ailleurs, pour l’architecte, "l’architecture est un incubateur social". Un bâtiment doit être un lieu qui pousse les gens à se rencontrer et à échanger. Mais c’est aussi un lieu qui doit respecter, par son esprit, une vocation donnée. "Le théâtre étant traditionnellement un lieu où non seulement on vient voir, mais aussi où l’on veut être vu, on a aménagé des percées visuelles à l’intérieur du Théâtre du Vieux-Terrebonne et on a fait de l’escalier principal un tapis rouge sur lequel les spectateurs eux-mêmes se donnent en représentation", explique l’architecte. En revanche, à la bibliothèque de Châteauguay, des alcôves sont aménagées dans les fenêtres pour réserver des espaces plus intimistes, propices à la lecture.

Mais au-delà de la définition de l’identité d’un espace, ce qui intéresse l’atelier TAG, c’est la capacité de cet espace à modifier la perception que nous avons de notre environnement et peut-être de nous-mêmes. Ainsi, dans le projet qu’il a conçu pour l’agrandissement de la bibliothèque de Boucherville, l’atelier prévoyait une fenestration permettant aux visiteurs d’avoir des perceptions différentes du milieu naturel, en fonction de leur position dans le bâtiment. "La fenêtre n’est plus là que pour l’illumination ou le panorama; c’est un regard sur l’extérieur", ajoute Manon Asselin.

VOYAGER POUR MIEUX BÂTIR

Reconnaissant le travail remarquable de l’atelier TAG, le Conseil des Arts du Canada vient donc de lui remettre le Prix de Rome professionnel en architecture. Inspiré de la bourse d’études qui, à l’origine sous Louis XIV, récompensait les meilleurs jeunes peintres, sculpteurs et architectes français en leur permettant de séjourner plusieurs années à Rome, le Prix de Rome canadien de 50 000 $ vise aujourd’hui à permettre à des architectes de voyager à l’étranger sur une période de deux ans.

Pour l’atelier TAG, le moment est idéal. "Nous sommes à un point tournant de notre carrière. Nous ne sommes plus une jeune agence, mais nous n’avons pas non plus un calibre international. Aussi cette bourse est-elle pour nous l’occasion de découvrir d’autres modes de fonctionnement qui peuvent enrichir notre pratique. Être architecte, c’est créer un milieu de vie. Et pour ça, il faut avoir vécu, c’est-à-dire avoir voyagé et rencontré des gens…", estime Manon Asselin.

Contrairement à ce qu’ont fait beaucoup de lauréats avant eux, les deux architectes n’ont l’intention ni de revisiter l’architecture historique, ni de s’imprégner de celle d’aujourd’hui. Ils ont plutôt décidé de s’intéresser à ceux qui, comme eux, la font. Ainsi, entre 2008 et 2010, ils se rendront en Europe, en Asie (essentiellement au Japon) et à New York pour mener des entrevues avec de jeunes architectes, afin non seulement d’identifier diverses pratiques, mais aussi de voir comment les différents environnements socioéconomiques et politiques actuels peuvent influencer leurs activités. Le résultat de leurs recherches fera l’objet d’une exposition multimédia. À suivre.

Info: www.ateliertag.com