Vie

Faiseurs d’images : Image hors cadre

La semaine dernière, les prix Grafika soulignaient la créativité des faiseurs d’images, pour la 11e fois. C’était l’occasion pour nous de tâter le pouls du milieu (le coeur bat très bien, merci) et de découvrir qu’il est, comme toujours, en pleine mutation.

Essayez de faire parler de tendances un designer graphique et vous verrez que l’animal se rebiffe aussitôt. "On a l’esprit de contradiction. On aime aller à contre-courant des tendances, explique Louis Gagnon, directeur de la création et associé chez Paprika. On ne veut pas refaire quelque chose qui a déjà été fait." "Pour moi, les bons designers arrivent à oublier leurs goûts et leur style personnels pour se mettre complètement au service de la personnalité d’une marque", renchérit Marie-Hélène Trottier, directrice de création chez Bleublancrouge.

Une fois les précautions d’usage établies, il reste que certains grands courants se dessinent. Le jury du concours Grafika, présidé cette année par Hélène Godin de l’agence Sid Lee, avait un seul mot d’ordre à l’esprit (ou plutôt trois): décloisonnement des disciplines. Ne nous étonnons pas que le Grand Prix ait été attribué à une installation lumineuse dans la vitrine du restaurant Buonanotte. Le passant pouvait y voir des lettres en néon qui soulignaient le 15e anniversaire de l’établissement. L’oeuvre, conçue par l’architecte Pawel Krakowski pour le compte de l’agence Number of Names, naviguait entre graphisme et installation 3-D, empruntant au passage à l’art contemporain façon Bruce Nauman. "Pour moi, le design est un ensemble, c’est quelque chose qui vit, dit Mme Godin. Quelque chose qui sollicite tous les sens."

AU-DELÀ DU PAPIER

L’heure est donc au "design expérientiel". Pensez installations lumineuses sur les façades des immeubles, pensez collaborations entre architectes et designers graphiques, entre graphistes et designers d’intérieur. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il est plus actuel que jamais. Le designer graphique est désormais sollicité dès le début d’un projet, sa signature n’étant plus seulement rajoutée sur l’espace fini comme une pensée qui viendrait après coup. "L’identité d’une marque ne passe plus seulement par un logo bien placé, souligne Hélène Godin. On parle de marques qui vivent dans le quotidien des gens, de marques diffusées à travers des événements."

On attend désormais des marques qu’elles agissent, qu’elles aient une personnalité. L’agence Toxa, qui publie le magazine Urbania et qui a reçu deux prix (prix Magazine et Animation, pour le site interactif Montréal en 12 lieux), emprunte le même courant: ils sont présents sur papier, à la télé, sur le Web. "En ce moment, il y a un mélange de différents médias, affirme Noémie Darveau, directrice artistique pour Toxa/Urbania. Les designers doivent devenir multidisciplinaires. Il faut trouver différentes manières de capter l’attention du public et de l’inclure dans le processus", dit celle qui croit par ailleurs que l’imprimé sera, au cours des prochaines années, de moins en moins utilisé.

ET L’ESTHÉTIQUE, LE LOOK, LA GUEULE…?

Voilà pour le grand mouvement d’ensemble. Mais si on y regarde de plus près, des tendances concrètes émergent aussi. Sylvie Berkowicz, éditrice du magazine Grafika et sommité du design made in Montréal, voit deux grandes tendances parmi les gagnants des prix de cette année: "Il y a un retour vers la sobriété et la simplicité extrême, d’un côté, et le travail fait à la main, de l’autre. (…) Il y a eu une époque où l’on s’est éclaté avec les outils électroniques et cela a stérilisé l’image. Du coup, on est dans le contrepoint de cette tendance." Marie-Hélène Trottier appelle cela le mouvement "colle-papier-ciseaux". À force de concevoir des images léchées et "photoshopées", les graphistes ont eu besoin de retrouver un côté humain dans la création, de renouer avec l’imperfection et les vieilles techniques. "Cela dure depuis un bon moment déjà, affirme madame Trottier. Tout le monde a embarqué, même les "anti-courant". Moi aussi, j’ai un plaisir fou à faire du découpage. Cela fait du bien de s’éloigner de son ordinateur et de sortir les exactos." Même le papier suit le courant: le mat – qui évoque un côté cool et écolo – est plus à la mode que jamais. Pensez catalogue d’Urban Outfitters ou Monocle Magazine. "Le mat peut être très chic, tout dépendant du traitement", dit Louis Gagnon dont l’agence Paprika a remporté plusieurs prix pour les magnifiques couvertures de livres conçus pour Les Allusifs. "Mais comme c’est tendance, ajoute-t-il, moi j’ai de nouveau envie de travailler le papier glacé." Esprit de contradiction, qu’on vous disait…

ooo

PETIT RÉCAPITULATIF POUR LECTEURS PARESSEUX OU PRESSÉS

IN

le design événementiel et le décloisonnement des disciplines
le courant "bricolage"
la simplicité, encore et toujours

OUT

le courant "chasse et pêche": les panaches d’orignaux ou de chevreuils et les petits oiseaux, on les a assez vus
la tache d’encre symétrique
les logos en 3-D avec reflets Photoshop (!!!)
l’influence années 80 poussée à l’extrême