Vie

Tailleurs pour hommes : Gentlemen tailleurs

Armés de leur savoir-faire et d’un ruban à mesurer, les tailleurs pour hommes résistent à une époque où la standardisation est la norme et où les bas prix font la loi. Anachroniques, les apôtres du sur-mesure? Fiers, surtout. Ils sont les gardiens d’une tradition qui se perd et l’un des derniers bastions de la qualité, la vraie.

Pellegrino Castronovo a un nom qui chante, une toute nouvelle boutique de sur-mesure pour hommes, avenue Papineau, et une passion contagieuse pour un métier vieux de la première coquetterie masculine: celui de tailleur. Ce qui fait de ce jeune homme dans la trentaine une exception? Il y a d’abord le fait que les tailleurs restants, qui pratiquent encore dans les règles de l’art, se font vieillissants. Les autres maisons de confection sur mesure à Montréal ont souvent un demi-siècle d’existence de plus que celle de M. Castronovo (vieille de deux mois) et le personnel ne rajeunit pas. La tradition se transmettait autrefois de père en fils, mais les fils ont depuis longtemps déserté les ateliers. Pellegrino Castronovo, lui, est resté.

Guidé par les Angelo, Pasquale, Tony, Alberto et Carmen, il a commencé à apprendre son métier à 11 ans. Vers 12 ou 13 ans, il arrivait à l’école en chemise et pantalon taillés sur mesure. À l’évidence, il n’a pas été lynché par ses camarades de classe. Aujourd’hui, il est l’image même d’un gentleman dandy, impeccable dans son veston en soie jaune et son pantalon bleu parfaitement ajustés. "Fabriquer une seconde peau pour soi-même, c’est magnifique", dit-il.

DÉCODAGE D’UN COSTUME SUR MESURE

Les initiés se reconnaissent entre eux au premier coup d’oeil, paraît-il; quand vous avez porté un costume sur mesure une fois, vous avez l’oeil averti pour toujours. "On reconnaît les hommes qui en portent parce que cela leur va comme un gant, affirme Robert Humphreys, gérant général du magasin Russell. Et puis il y a de petits détails qui font la différence, comme le surgeon’s cuff." Sur la manche du veston, là où le prêt-à-porter a imposé des boutons cousus sur de faux trous, le sur-mesure fait encore dans les boutons fonctionnels. C’est maniaque? Et comment!

Pour M. Castronovo, la minutieuse élaboration du costume commence avec le choix du tissu: "Les moutons sont rasés en quatre parties différentes, ce qui donne des laines de différente qualité. C’est ce qui explique que certaines piquent et d’autres pas: la longueur et la douceur du poil." Mis à part la douceur du tissu, qu’est-ce que la laine de qualité change au costume? Tout. L’éclat est différent et la durée de vie aussi: après huit ans d’usure et plusieurs nettoyages, le costume sur mesure survit alors que les modèles prêt-à-porter ont depuis longtemps craqué aux coutures. L’élaboration de ce type de costume, c’est aussi le fruit d’une alchimie complexe qui prend en compte le jeu des proportions. Il faut cacher les poignées d’amour de l’un, accentuer les épaules de l’autre, allonger la silhouette, donner l’impression de redresser la posture. On doit être en mesure de faire confiance à son tailleur d’un bout à l’autre de la délicate opération: "Beaucoup d’hommes ne savent pas ce qui leur va bien, alors il faut les guider, dit M. Castronovo. Je crée des choses qui vont avec la personnalité de celui qui les porte."

À CONTRE-COURANT

La clientèle du sur-mesure reste stable, disent messieurs Castronovo et Humphreys. "On perd des clients seulement quand ils prennent leur retraite", affirme ce dernier. Mais près de 80 tailleurs sont tout de même disparus du marché dans les 10 dernières années, avance M. Castronovo. Certains ont tout bonnement pris leur retraite en même temps que leurs clients et ils n’ont jamais été remplacés par la relève. Le marketing a aussi fait mal au sur-mesure, croit Pellegrino Castronovo: "On pousse les gens à consommer sans cesse et on martèle l’idée que moins c’est cher, mieux c’est. Aujourd’hui, quand on achète une marque de designer, on paie pour le nom, pas pour la qualité. Pourtant, nos tissus n’ont rien à voir avec ceux d’Armani ou de Versace." Par leur univers très masculin, par le lien de confiance qui s’établit avec les clients, par le côté un peu suranné de la profession, les tailleurs sont un peu comme les barbiers. Des barbiers de luxe.

Chez Pellegrino Castronovo, les chemises coûtent 189 $ pour une série de trois. Il faut compter 800 $ pour un costume.

CARNET DES TAILLEURS /

Pellegrino Castronovo Couture
5025, avenue Papineau
Tél.: 514 316-MENS

Russell chemises sur mesure et tailleurs
2175, rue de la Montagne
Tél.: 514 844-8874

Harry Rosen
1455, rue Peel
Tél.: 514 284-3315

Waxman
4605, avenue du Parc
Tél.: 514 845-8826