Vie

Véronique Miljkovitch : Graffs sur soie

Pour la 5e Nuit blanche de Montréal, la designer Véronique Miljkovitch a sorti son aérographe. Au menu: une démonstration de son travail de graffiti sur vêtement devant public noctambule consentant. Rencontre avec une artiste de la fringue.

Si on était dans un western, Véronique Miljkovitch serait le cow-boy taciturne qui galope seul vers le soleil couchant. Non pas qu’elle soit virile et ténébreuse – c’est même tout le contraire. Seulement, elle fait un peu bande à part. On ne la voit presque jamais dans les événements qui rassemblent le reste de la communauté de la mode montréalaise. Elle ne participe ni à la Semaine de mode, ni au Festival mode et design, ni même aux défilés indépendants qui poussent çà et là.

"Toute cette machine de la mode qui consiste à faire des défilés et passer par un agent, ça marche très bien pour les gens qui ont une équipe derrière eux. Mais j’ai appris qu’il y avait d’autres façons de faire, plus logiques et plus naturelles pour moi." Pour diffuser sa griffe assez confidentielle, elle fait directement affaire avec les boutiques: une quinzaine au Canada, quelques-unes aux États-Unis et en France. Et elle participe aux expos d’art: "C’est une clientèle qui me comprend." Pas étonnant. Sa collection éthérée et délicate est faite de blouses et de robes en soie repeintes par aérographie (une technique de peinture à l’eau sous pression). Avec leurs dessins abstraits, colorés, spontanés, les créations de Véronique Miljkovitch rappellent l’esprit street art des années 80. On y reconnaît quelque chose de l’énergie brute et enfantine d’un Jean-Michel Basquiat, l’une de ses grandes influences. "C’est très libérateur de dessiner comme ça, parce que je suis impulsive, je ne suis pas dans les détails", dit-elle. Pas étonnant que la galeriste Thérèse Dion ait été séduite. Avant son décès en novembre dernier, l’extraordinaire femme de 70 ans – qui affichait encore avec aplomb un rouge à lèvres flash et une coupe de punkette – restait l’une de ses plus fidèles clientes… C’est que la griffe de Véronique Miljkovitch est peut-être peu connue du grand public, produite de façon indépendante et en dehors de l’industrie, mais elle ne manque pas d’initiés.

L’ARTISTE ET L’INDUSTRIE

En vérité, la designer est loin d’être une nouvelle venue, malgré sa discrétion sur la scène montréalaise. Avant de trouver la route de la soie et d’autres textiles, elle avait déjà tâté de la fourrure. C’était pour sa première collection, il y a une quinzaine d’années. Véronique Miljkovitch revenait de Paris, où elle avait travaillé dans l’hôtellerie et renoué avec ses racines (Française d’origine, elle a passé son enfance en Ontario). À Montréal, elle s’est lancée dans la mode et a pris la fourrure à bras-le-corps. "C’est mon esprit rebelle: je voulais montrer qu’il n’y avait pas de raison que la fourrure soit réservée aux bourgeois." S’ensuivit une série de lacérations, de coupes et de transformations du matériau, qui en a vu de toutes les couleurs avec madame Miljkovitch. "Mais c’est un produit très cher, qui laisse peu de place à la créativité, se rappelle-t-elle. Pour travailler la fourrure, il faut avoir une grosse machine de marketing derrière soi." D’où sa désillusion par rapport aux manufacturiers: pour ses collections de fourrure, il lui a fallu travailler au sein d’une infrastructure plus lourde et plus chère que pour le tissu. "Les designers et les manufacturiers ont des mentalités complètement différentes. On ne se comprend pas. Avec eux, il faut que ça fasse de l’argent tout de suite, ils ne voient pas les choses à long terme."

Aujourd’hui, Véronique Miljkovitch fait les choses à sa façon. Elle travaille en équipe avec son conjoint dans son propre atelier, niché entre les galeries d’art contemporain du Belgo. Ce n’est pas qu’elle tienne à garder sa production restreinte et sa griffe peu répandue: elle avoue qu’elle aimerait bien passer à une autre étape et avoir des employés. C’est seulement qu’elle n’est pas prête à le faire à tout prix. "Moi, je vois le vêtement comme un moyen d’expression", dit-elle. Et c’est aussi qu’elle est trop créative et indépendante pour se soumettre à nouveau aux lois de Chabanel: "Les manufacturiers ne te laissent pas faire ton travail. Ils interviennent à tous les niveaux et après, ça ne ressemble à rien." Elle raconte que l’autre jour, on est venu la solliciter à son atelier pour lui vendre un contrat de sous-traitance en Chine. C’est bien mal connaître Véronique Miljkovitch.

Démonstration d’aérographie et graffiti à la Nuit blanche
Le 1er mars, de 20 h à 2 h au Belgo
372, rue Sainte-Catherine Ouest, studio 223
Info: www.miljkovitch.com

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LA NUIT BLANCHE DE VÉRONIQUE MILJKOVITCH

Si la créatrice ne nous accueillait pas dans son atelier le 1er mars, elle visiterait…

– Small Is Beautiful!, une expo petits formats regroupant une dizaine d’artistes à la galerie [sas], au Belgo.

Splendeurs de l’existence, une exposition de Carlito Dalceggio à l’hôtel W.

– Sociétés secrètes, des photographies de Jean-François Bouchard à la Fonderie Darling.

– Les Shadoks, une présentation de la série-culte à la Cinémathèque québécoise.

Pour la programmation complète: www.montrealenlumiere.com