Vie

Claude André Hébert : Le parfumeur de Laurier

Se lancer dans la création de parfums quand le marché est entièrement dominé par une poignée de gros joueurs, qu’on a peu d’expérience et que, de surcroît, on ne vient pas de Grasse mais de Montréal, cela prend du courage. Et peut-être un peu de folie. Justement, Claude André Hébert a des deux.

Il le dit lui-même: "Il n’y a pas beaucoup de gens qui quittent une vie de luxe et un gros salaire pour aller au chômage et se lancer dans une mission. Je suis fou!" Le résultat de cette folie, c’est une jolie petite boutique de parfums sur un tronçon de l’avenue Laurier qui n’arrête pas de se moderniser. Le Baldwin et la boutique Billie sont tout près; les jeunes gens qui ont du goût et du portefeuille aussi. Habillée de luxueux tons noirs (le velours du canapé, le bois laqué du meuble à parfums, les imprimés floraux sur le mur), la parfumerie de M. Hébert ressemble elle-même à un écrin à parfum plus grand que nature. On y trouve une douzaine de parfums en tout, six pour hommes et autant pour femmes, dont chacun vient d’un continent. Il y a les deux jus africains, entêtants, séducteurs et sensuels. Il y a ceux qui évoquent la geisha raffinée, la Milanaise glam et sexy, l’effervescence d’un jour de fête à Rio. Chacun d’entre eux a été élaboré avec des matières premières provenant uniquement du continent représenté. "Je voulais faire voyager les gens, dit M. Hébert. C’est pour ça aussi que je n’aime pas parler d’ingrédients dans les parfums. Si vous trouvez que ça sent la rose, qui suis-je pour vous dire qu’il n’y a pas de rose dedans?"

QUAND LE LUXE RENCONTRE L’HUMANITAIRE

L’idée d’offrir un voyage olfactif vient de ce que M. Hébert s’est aussi donné une mission: celle de propager un message de paix et de respect des cultures. C’est pour cela qu’il a travaillé avec des groupes-conseils de gens qui venaient réellement de l’Asie, de l’Afrique ou de l’Océanie. Au cours de l’élaboration des parfums (créés par une maison de Grasse sur commande de M. Hébert), il leur demandait si l’odeur s’approchait de celle de leur pays, histoire d’y rester le plus fidèle possible. Mais l’étrange démarche de M. Hébert ne s’arrête pas là: il tient à travailler avec des ingrédients naturels au lieu des produits synthétiques couramment utilisés en parfumerie, même si cela le limite considérablement. Et il tient aussi à investir un pourcentage des ventes dans la fondation qu’il a mise sur pied pour la lutte contre le sida. "Je ne fais pas des parfums, dit-il. Je fais un projet humanitaire."

L’idée de ce projet lui est venue une dizaine d’années plus tôt, lorsqu’il a eu une vision. À l’époque, il était directeur de Thierry Mugler pour l’Est du Canada. Il voyageait entre New York, Paris et Montréal en première classe, conduisait une BMW. Un jour, il est tombé malade. Rien de grave, mais assez pour que, terrassé par la fièvre, il demande à Dieu de lui faire un signe. Il a senti, dit-il, "une illumination", une onde "d’amour inconditionnel" le traverser. C’était tout ce qu’il lui fallait pour quitter son poste, commencer à méditer, jouer avec l’idée de se faire missionnaire et se lancer dans la parfumerie. Remplacez le parfumeur par un berger, Montréal par un village espagnol, et vous aurez presque la trame de L’Alchimiste. Sauf que l’histoire de M. Hébert, elle, est bien réelle.

UN MARCHÉ DIFFICILE

Reste que la vie réelle n’a rien d’un conte. Aujourd’hui, la parfumerie est dominée par une dizaine de grands groupes (LVMH, Proctor & Gamble, Clarins, Estée Lauder, etc.) qui possèdent près de 80 marques se partageant 60 % du marché. "Je trouve qu’il y a eu une dérive trop commerciale dans la parfumerie, dit M. Hébert. Le fait qu’on vende des parfums dans toutes les pharmacies a détruit l’univers de luxe qui entoure le parfum. Mon but, c’est de redonner au parfum sa dignité." Il croit que les clients recherchent de plus en plus des odeurs personnalisées, des parfums uniques qui ne ressemblent à rien d’autre sur le marché. Dans l’état actuel des choses, les grandes marques se copient souvent entre elles ou font des variations sur un même thème en reproduisant un parfum à succès. "Quand on m’a offert de répéter toujours un même ingrédient dans tous mes parfums pour créer une sorte de signature, j’ai refusé. Cela ne m’intéresse pas d’avoir des choses qui se ressemblent." En effet.

Claude André Hébert Parfums
125, avenue Laurier Ouest
Tél.: 514 303-7426
www.claudeandrehebert.com