Vie

Démocratisation d’un art de vivre : Ceci n'est pas du luxe

Autrefois réservé à une élite fortunée, le luxe descend aujourd’hui de son piédestal en or massif, se targuant même de devenir de plus en plus "abordable". Démocratisation d’un art de vivre ou fuite en avant dans l’excès et l’illusion?

L’industrie du luxe semble bel et bien avoir Montréal dans sa ligne de mire. Du récent agrandissement de la boutique Ogilvy sur Sainte-Catherine par Louis Vuitton Canada à la très chic chaîne française de vêtements coutures pour hommes Zilli qui vient de choisir Montréal pour ouvrir sa première succursale nord-américaine, en passant par les grands projets de condotels de luxe que sont le Crystal de la Montagne et le Ritz-Carlton modernisé, Montréal semble en effet jouer de plus en plus la carte du haut de gamme.

Bien sûr, Montréal n’est ni New York ni Paris, c’est pourquoi en marge du luxe avec un grand lustre se développe dans la métropole toute une gamme d’établissements pour les tenants d’un luxe sinon plus raisonnable, du moins plus accessible. Pensez "bistronomie", la dernière tendance en restauration, où de grands chefs d’établissements renommés ouvrent de petits bistros chics à prix plus doux. L’Europea a son rejeton nommé Beaver Hall, le Joe Beef vient d’ouvrir une luncheonette, le McKiernan’s et la Montée de lait a depuis peu son bar à vin, Le Bouchonné.

Même son de cloche du côté du chic Restaurant Julien. Son propriétaire, Claude Foussart, vient d’ouvrir le Phillips Lounge, un club très classe s’adressant à une clientèle plus jeune qui a soif de luxe… abordable. Un endroit parfait pour cette nouvelle génération d’adeptes de 5 à 7 qui veulent redonner ses lettres de noblesse à la robe de cocktail, sans y laisser leur chemise.

LE LUXE AU QUOTIDIEN

"Les consommateurs de luxe dit "abordable" font partie de la classe moyenne. Ils sont instruits et ce sont de grands amateurs de culture et de gastronomie", explique Claude Savoie, coach en stratégie marketing auprès des petites et moyennes entreprises depuis 30 ans. "Il y a quelques décennies, il y avait deux types de consommateurs: les riches et les pauvres. Aujourd’hui, la frontière est devenue plus floue; de plus en plus de gens peuvent se payer du luxe et s’offrir des gâteries".

Vous levez le nez sur le pain blanc tranché moelleux du supermarché au profit de la baguette bio à la boulangerie artisanale du coin? Vous dédaignez le café filtre et lui préférez un dry cappuccino? Et jamais au grand jamais vous ne sacrifierez votre chère bière importée sur l’autel mousseux des brasseurs Molson ou Labatt? Vous êtes un client tout désigné pour le luxe abordable.

Selon le stratège marketing, il s’agit d’un segment particulier du marché qui s’est surtout développé en réaction à l’arrivée des grandes surfaces commerciales à la Wal-Mart. Plus difficiles que la moyenne, ces consommateurs chercheraient d’abord et avant tout l’authenticité des produits et un service personnalisé.

"De petits commerçants choisissent maintenant d’offrir des produits plus fins et donc un peu plus haut de gamme. Souvent, il s’agit moins de vendre un meilleur produit que de créer un lien privilégié avec ses clients." Claude Savoie donne l’exemple d’un pâtissier qu’il conseille depuis des années et qui se sert de vanille de Madagascar dans ses préparations. "Je ne suis pas du tout sûr que les clients goûtent vraiment la différence entre la vanille de Madagascar et une autre sorte de vanille. Mais ça les intéresse de le savoir, et surtout, ils sont prêts à débourser quelques sous de plus pour ce petit luxe."

GRANDEURS ET MISÈRES DU LUXE

Bien sûr, il n’y a pas que les petits commerçants qui ont flairé la bonne affaire, les grandes marques de luxe aussi. C’est qu’au milieu des années 1990, les grandes maisons de luxe traditionnelles (Louis Vuitton, Hermès, etc.) sont devenues, au sein de quelques grands groupes nouvellement formés, autant de "marques" prêtes à conquérir de nouveaux marchés.

Pour Benoît Duguay, professeur au département des sciences de la gestion de l’UQAM et auteur de l’essai Consommation et luxe – La voie de l’excès et de l’illusion (éd. Liber, 2007), il n’y a rien de mal dans le fait que le luxe se démocratise: "La vie sans luxe, ce n’est pas intéressant. Non seulement nous ne sommes pas faits pour souffrir, mais tout le monde a le droit de se faire plaisir." Par contre, et c’est là l’un des buts poursuivis par son livre, il met en garde contre certains effets et excès pernicieux du luxe: "Une année, vous achetez un gadget de luxe. La fois suivante, ce gadget ne sera plus un luxe pour vous, et vous désirerez alors vous procurer quelque chose d’encore plus luxueux et coûteux. De fois en fois, il se crée un phénomène d’inflation qui peut mener à un sérieux problème d’endettement."

Car voilà le danger qui guette le consommateur en quête éperdue de luxe à tout prix, conclut Duguay: ""Vous le valez bien", scande le slogan de L’Oréal. Le problème, c’est que de plus en plus de gens y croient et n’hésitent pas à s’endetter pour s’offrir plus de luxe. Le luxe, c’est bien, mais seulement dans une certaine mesure, celle de nos moyens."

CARNET DE LUXE /

Beaver Hall
1073, côte du Beaver Hall
Tél.: 514 866-1331
Info.: www.beaverhall.ca

Crystal de la Montagne
1100, rue de la Montagne (angle René-Lévesque)
Tél.: 514 861-5500
Info.: www.crystaldelamontagne.com

McKiernan’s
2485, rue Notre-Dame Ouest (en face du Théâtre Corona)
Tél.: 514 759-6677
Info.: www.joebeef.ca

Phillips Lounge
1184, place Phillips
Tél.: 514 871-1184
Info.: www.phillipslounge.com

Le Bouchonné
9, avenue Fairmount Est
Tél.: 514 273-8846

Zilli
1472, rue Sherbrooke Ouest
Tél.: 514 935-3777
Info.: www.zilli.fr