Vie

Martine Lemieux et Carole Baillargeon : Quand le vêtement devient oeuvre d'art

En ce moment, deux expositions parallèles se déploient autour d’une recherche sur le vêtement. L’occasion était trop belle pour ne pas réunir les deux artistes en question – Martine Lemieux et Carole Baillargeon – afin de parler d’art et de chiffons.

Décousue, de Martine Lemieux, est une expo de toiles en 2D faites avec des vêtements récupérés. Les pièces sont souvent monochromes ou deux couleurs, composées de vêtements enchevêtrés et ostensiblement cousus ensemble. Certaines racontent des histoires d’amour, tandis que d’autres parlent de réseaux sociaux ou témoignent d’une simple recherche esthétique.

Du côté de Carole Baillargeon, son expo Printemps: Paysages-vêtements en quatre temps est le troisième volet d’une série qui devrait aussi connaître son quatrième, Été. Se servant de bouchons de liège récupérés, l’artiste a construit d’étranges et fantastiques costumes rituels, qu’elle a fait porter à des danseurs pour une performance filmée et photographiée, dont les images sont présentées en galerie. "Je parle du corps via le vêtement, explique celle qui est aussi directrice générale du Musée des métiers d’art à Québec. Je traite de différents thèmes, de la société, de la femme, de l’histoire…" Les deux artistes ont en commun une démarche artistique qui s’articule autour du vêtement et qui, par extension (ou presque), nous parle du corps, de la mode, de la consommation.

CONSOMMER ET JETER

Les milliers de bouchons de liège qui font ses costumes, Carole Baillargeon les a récupérés auprès d’amis et de connaissances. Vu la quantité astronomique qu’elle a récoltée, "ça ne peut pas faire autrement que de poser la question de la consommation, croit-elle. D’autant plus que le liège est une matière naturelle et que les arbres sont en voie de disparition". Martine Lemieux, elle, est allée dans un centre de tri pour trouver les vêtements qui constitueraient ses toiles. Elle y a recueilli des quantités énormes de vêtements à peine usés, jetés juste après avoir été consommés. "Le message est clair, dit-elle, il faut qu’on pense à notre affaire. Est-ce qu’on a vraiment besoin d’acheter autant? On crée des besoins, on ne raccommode pas, on ne coud plus rien à la main." On a déjà entendu le discours, mais cette fois, c’est une artiste qui le prononce. "On est tous dans l’air du temps, souligne Carole Baillargeon. Le concept de la récupération, on le voit dans plein d’autres milieux…"

LE TEXTILE À L’HEURE DE LA CHINE

Mais à l’heure où la plus grande partie des vêtements consommés en masse sont fabriqués en Chine, le fait de travailler avec la matière n’est plus innocent. Même pour les artistes. Carole Baillargeon a déjà exploré le sujet dans l’un de ses autres projets, plus personnel: pendant un an, elle a tenu le journal de sa garde-robe en indiquant la provenance des vêtements. "Ça m’a fait prendre conscience qu’il n’y avait pas grand-chose qui venait du Canada", dit-elle. Martine Lemieux, de son côté, dit avoir "fait la paix avec ça". Il faut dire qu’elle connaît bien le fonctionnement du milieu de la mode, pour y avoir longtemps travaillé. Elle a été designer pour plusieurs grandes marques, avant de fonder la sienne (Junk) et de se rendre compte, désenchantée, que le milieu ne correspondait plus à son besoin de créer. "Au début, je trouvais ça dommage que tout soit fait à l’extérieur, affirme-t-elle. Mais je comprends comment le marché fonctionne. Ici, le prix des couturières est trop élevé pour qu’on puisse continuer. En Chine, ils sont très bons pour ce qui est de la manufacture. Et puis, c’est de la création d’emplois et ça leur permet de vivre une vie meilleure."

Mais si les deux artistes utilisent le vêtement dans leurs oeuvres, ce n’est pas, de prime abord, pour ses implications politiques. Martine Lemieux s’en sert comme d’autres le feraient de la peinture, en sélectionnant les pièces pour leur taille et leur couleur. Sa recherche est d’abord esthétique. Pour Carole Baillargeon, "à la base, le vêtement est quelque chose qui est très près de nous, c’est un outil de communication et de socialisation. C’est riche, dense et très près du corps". C’est éphémère, aussi. Vite fabriqué, vite consommé, vite jeté. Mme Baillargeon souligne qu’il n’en a pas toujours été ainsi: "Il y a quelque 100 ans, on appelait les vêtements "le butin", parce que c’était souvent un butin de guerre, dit-elle. Il y avait un cycle dans le vêtement: la femme plus riche le donnait à sa servante, la servante l’usait à la corde et le recyclait en chiffons." Aujourd’hui, plus question qu’il ait une durée de vie aussi longue. Mais c’est ce qui attire l’artiste, justement: "Parce que nous sommes éphémères, nous aussi."

Martine Lemieux – Décousue
Jusqu’au 10 mai
À la Galerie [sas]
372, rue Sainte-Catherine Ouest, local 416, à Montréal
Tél.: 514 878-3409

Carole Baillargeon – Printemps: Paysages-vêtements en quatre temps
Jusqu’au 17 mai
À la Galerie Diagonale
5455, rue de Gaspé, espace 203, à Montréal
Tél.: 514 524-6645