Ces jours-ci, Urbania fête son cinquième anniversaire. Le magazine indépendant fondé par Philippe Lamarre et son ami Vianney Tremblay a survécu à sa maquette éclatée, ses photos provocs et ses articles déjantés. Non seulement il a survécu, mais il a fait des petits: une émission de télé (Urbania, Montréal en 12 lieux sur TV5), un site Web interactif (mtl12.com), des projets de tournage à Québec et ailleurs dans la francophonie.
En même temps, Philippe Lamarre, qui est designer graphique à la base, vient d’obtenir le prix Phyllis-Lambert Design Montréal pour un projet qui tourne encore autour du même thème: l’urbanité. Le prix de 10 000 $ est attribué par la Ville de Montréal pour souligner le talent d’un jeune designer qui a fait preuve d’un intérêt marqué pour la ville. Pas étonnant que M. Lamarre se soit reconnu. Tout ce qu’il fait porte là-dessus. "Je cherche à découvrir la personnalité d’une ville à travers ses symboles", explique-t-il.
GRAPHISME POPULAIRE
Son idée tenait sur une page et quelques mots barbares: il voulait répertorier le "design graphique vernaculaire" de trois villes, Montréal, Berlin et Buenos Aires. En clair, colliger les affiches, logos, enseignes commerciales ou panneaux "faits maison" qu’on y trouve. Pourquoi vouloir sauver ces images banales et souvent maladroites de l’oubli? Parce que Philippe Lamarre croit qu’elles en disent long sur l’identité d’une ville. Parce que le design, comme tant d’autres choses, est en train de s’uniformiser, de se mondialiser. "Mon but, c’est de garder une mémoire de ces choses-là, pas de différencier le bon design du mauvais. J’espère qu’au final, ça va aller dans tous les sens, qu’on y trouvera autant de bons graffitistes comme Roadsworth ou Zilon que de ceux qui font des posters de chats perdus." "Parfois, ajoute-t-il, les affiches de chats perdus sont plus belles que n’importe quel design international et générique." Quand il aura fini de se promener dans les rues de Montréal, Berlin et Buenos Aires, l’appareil photo braqué sur des enseignes qui ne sont ni internationales, ni génériques, Philippe Lamarre fera un site Web. Une sorte de Flickr du design graphique populaire, où chaque usager pourra mettre en ligne ses propres photos.
C’est cette partie-là de sa proposition que Mirko Zardini, le directeur actuel du Centre canadien d’architecture, trouve la plus intéressante. "C’est important de partager l’information de cette manière-là, en impliquant le public, dit M. Zardini, qui a fait partie du jury pour le prix. Je vois ça comme une expérience intéressante. Une fois tout le matériel accumulé, une nouvelle façon de penser pourrait se développer. C’est un bon point de départ pour poser un autre regard sur notre environnement, pour réfléchir et discuter."
CONNAITRE UNE VILLE PAR LA BANDE
Au fond, le travail que Philippe Lamarre s’apprête à faire sur le design graphique populaire et celui qu’il fait déjà dans les pages d’Urbania partent un peu du même principe. À Urbania, "on va fouiller dans les craques, on déniche des gens qui donnent une âme à la ville et qui ne sont pas ceux qu’on célèbre sur les couvertures des magazines", dit-il. Et tant pis si le résultat fait trash. Pour son nouveau projet, il veut documenter et tirer de l’oubli le travail de gens comme M. Allen. Un monsieur qui a peint bien des affiches de magasins montréalais à la main, et dont le travail n’a probablement jamais été répertorié. Tout juste remplacé par des enseignes au néon. "J’adore l’image, je trouve que c’est un témoignage indélébile du passé, dit Philippe Lamarre. Souvent, ce sont des images banales, des trucs du quotidien. Sauf que, quand on les revoit, il y a une émotion qui s’en dégage." Tout le contraire d’une carte postale.