Vie

Cimetière : Promenade six pieds sur terre

Si ce n’était du cimetière, il n’y aurait pas de parc sur le mont Royal aujourd’hui. Pas de doute, les lieux de sépulture ont contribué à définir la ville qu’on connaît. Balade virtuelle en trois lieux de repos éternel, en compagnie de quelqu’un qui s’intéresse à la mort de près.

Le cimetière fantôme: Saint-Antoine

Année de fondation: 1799 (fermeture en 1855)

Clientèle: catholiques

Si le nom ne vous dit rien, ce n’est pas étonnant. Le cimetière Saint-Antoine est enfoui depuis longtemps. En lieu et place de pierres tombales, on ne voit que le square Dorchester et la place du Canada. Alain Tremblay, président de l’Écomusée de l’au-delà, un organisme voué à la préservation du patrimoine funéraire au Québec, affirme que plus de 45 000 ossements y sont enterrés. "C’est l’ancêtre des cimetières, le précurseur de Notre-Dame-des-Neiges, dit-il. Il y a là des milliers de morts, mais ce n’est pas connu de la part de la population."

Comment expliquer qu’on ait entassé autant de personnes dans ce qui est aujourd’hui un petit espace vert entrecoupé par la circulation du centre-ville? Les pratiques funéraires n’étaient pas les mêmes: au lieu de tombes individuelles, la plupart des morts avaient droit à la fosse commune et à une inhumation aléatoire. Les plus riches de ces morts seront exhumés à la fermeture du cimetière, quand un règlement municipal défendra la présence de lieux de sépulture à l’intérieur de la ville. Mais la grande majorité des restes y est toujours enfouie dans le plus grand anonymat.

Le cimetière des cathos: Notre-Dame-des-Neiges

Année de fondation: 1852

Clientèle première: catholiques

Quand on décide de déplacer les cimetières à la périphérie de la ville, à cause des trop nombreuses épidémies, on met le cap sur le mont Royal. C’était la campagne, mais le lieu était idéal parce que, selon Alain Tremblay, "la montagne symbolisait l’élévation des âmes". Quatre cimetières ont été créés sur le mont: Notre-Dame-des-Neiges était réservé aux catholiques, le cimetière du Mont-Royal aux protestants, et deux petits cimetières ont ouvert leurs portes aux juifs. L’aménagement de ces espaces a sauvé la montagne de l’envahissement urbain, croit-on aujourd’hui.

"En Europe, on commence à faire des cimetières-jardins au début du 19e siècle, explique M. Tremblay. Ce sont les premiers parcs urbains." Ici, l’architecte Henri-Maurice Perrault s’inspire du cimetière du Père-Lachaise pour créer celui de Notre-Dame-des-Neiges. Comme le parc du Mont-Royal n’existe pas encore, le cimetière devient le lieu de rendez-vous dominical de la famille. "Il fallait être vu au cimetière, dit Alain Tremblay. Il y avait même une rivalité entre les bourgeois quant à celui qui aurait le plus beau monument." Les endroits les plus en demande sont ceux qui sont les plus élevés sur la montagne. Qu’on ne s’étonne pas, aujourd’hui, que René Angélil et Lucien Rémillard aient acheté d’immenses lots de terre en haut du mont Royal… Et que les lots qui entourent les leurs gagnent de la valeur! "Les lots près d’une grande personnalité, comme George-Étienne Cartier par exemple, valaient plus cher", explique M. Tremblay. Apparemment, dans la mort aussi, il faut savoir rester près des gens importants…

Le cimetière des anglos: Mont-Royal

Année de fondation: 1852

Clientèle première: protestants

Séparés dans la mort comme dans la vie, les francophones et les anglophones? Et comment! "Les protestants et les catholiques ont des croyances différentes. Ce sont deux visions de la mort qui s’opposent, explique Alain Tremblay. Pour les protestants, Dieu est partout, il est dans la nature. Leur cimetière ressemble à une succession de jardins avec des arbres dispersés. Pour les catholiques, on est au cimetière pour attendre la résurrection." Si les catholiques rivalisaient d’efforts pour s’offrir un monument grandiose, les protestants s’opposaient à l’ostentation. Leur partie du cimetière est donc à la fois plus sobre et moins ordonnée, avec des arbres qui poussent çà et là à l’intérieur des îlots. Depuis le début du 20e siècle, cette partie du cimetière est aussi ouverte à toutes les croyances: on peut y mettre le signe religieux que l’on veut.

Mais les cimetières ont beaucoup changé depuis les années 60. "Avec l’éclatement de la famille, les terrains qui se vendent sont beaucoup plus petits", dit le président de l’Écomusée. Aujourd’hui, les columbariums pullulent dans les cimetières. Ces édifices sont construits pour accueillir des enfeus, c’est-à-dire des espaces de la taille d’un cercueil où la dépouille se conserve extrêmement longtemps. Ces mausolées sont critiqués pour leur esthétique, leurs coûts d’entretien et leur impact sur l’environnement. On meurt comme on vit…

L’Écomusée de l’au-delà offre des visites commentées du cimetière Notre-Dame-des-Neiges jusqu’au 2 novembre. Info: www.ecomuseedelau-dela.net.