C’est par hasard, grâce à un projet de film avec CUTV (la télévision étudiante de l’université Concordia), que deux étudiants, Liz Bono et Paul Aflalo, découvrent le quartier de Griffintown et avec lui, un pan de l’histoire de Montréal. "C’était un quartier très pauvre et en même temps très riche sur le plan culturel, avec toutes les nationalités qui l’habitaient", rappelle Paul Aflalo. Or, Liz et Paul se rendent compte que la plupart de leurs amis ne savent rien de Griffintown. "Il y en a qui pensent que c’est dans l’ouest de l’île et même aux États-Unis!" s’exclame Paul Aflalo. Du coup, les deux étudiants imaginent une célébration pour rendre hommage à ce quartier et l’ancrer dans les mémoires.
Ainsi, pendant trois jours, sous l’égide de CUTV et d’Indyish (un réseau populaire d’artistes indépendants), des festivités auront lieu sur le site de l’ancien complexe de la New City Gas Company (entreprise qui éclairait autrefois tout Montréal). Dans une galerie aménagée pour l’occasion, des artistes exposeront des photos du Griffintown industriel et de sa population, ainsi que des peintures de paysages industriels. En parallèle, le public pourra assister à des projections de courts métrages et profiter de visites guidées du quartier. En outre, des activités gratuites seront organisées pour les enfants (ateliers de peinture, chasse au trésor, etc.). Le tout se fera sur fond de concerts de musique et de projections nocturnes de photos d’époque sur certains bâtiments d’intérêt patrimonial.
LA DISPARITION D’UN QUARTIER
Soulignons toutefois que l’initiative des deux organisateurs de l’évènement ne vise pas à discréditer le projet Devimco. "Nous voulons simplement que les gens se souviennent. Et si, finalement, le quartier est détruit, peut-être aurons-nous participé à ce que les gens sachent ce qu’il a représenté", explique Paul Aflalo. Pourtant, amener la population à découvrir un quartier qui est sur le point de subir des transformations majeures peut facilement être interprété comme une façon déguisée de relancer le débat.
Toutefois, si le promoteur pouvait donner à l’origine le sentiment de rêver d’un quartier Dix30, aux portes du centre-ville de Montréal, les choses ont bien changé depuis un an. Déjà, l’avant-projet du PPU (plan particulier d’urbanisme) avait imposé au promoteur de réduire le nombre de grandes surfaces commerciales, d’augmenter la part de logements et de prévoir des infrastructures suffisantes pour relier le quartier au reste de l’île. Bref, de centre commercial, le projet Griffintown est devenu celui d’un village. Depuis, plusieurs critiques constructives ont amené la Ville à modifier son PPU. Il y a, bien sûr, l’avis défavorable du Conseil du patrimoine de Montréal, mais aussi ceux de professeurs d’université, comme Raphaël Fischler ou Jean-Claude Marsan. Il y a, finalement, les commentaires des citoyens de l’arrondissement Centre-Sud, lors des consultations publiques de mars dernier.
CEUX QUI PARTENT, CEUX QUI RESTENT
Depuis la publication de la version finale du PPU en avril dernier, il est devenu évident que le projet de Devimco va bel et bien changer la physionomie de Griffintown, sur son secteur d’intervention. À cet égard, le directeur des politiques d’Héritage Montréal, Dinu Bumbaru, faisait remarquer, il y a quelques mois, que "le caractère d’un quartier tient aussi à ces espèces de mesures harmoniques, difficiles à saisir, qu’il y a entre la largeur des rues, la hauteur des bâtiments…". Or, il est certain que les techniciens de la Ville de Montréal ont fait de gros efforts pour tenir compte de cet aspect important de "l’âme" de Griffintown. Des bâtiments d’intérêt patrimonial qui devaient être détruits seront conservés (le Horse Palace et le chalet du Square Gallery). La hauteur des bâtiments a été limitée sur certains secteurs (bien que petits) et des rues qui devaient être supprimées ont été conservées (la rue Smith et les tronçons des rues Murray et Shannon au sud de la rue Wellington).
Malgré cela, il n’en ressort pas moins qu’avec la destruction de la plupart des bâtiments existants, la suppression des rues Young (entre Ottawa et Smith) et Shannon (entre Ottawa et Wellington), l’élargissement de certaines rues (comme Wellington, Ottawa et Murray) et la hauteur maximale de 25 mètres autorisée, il sera bientôt difficile de reconnaître le quartier. Comme dans le plan initial, l’énorme îlot commercial (entre Ottawa, Murray, Wellington et l’autoroute) trônera au coeur du quartier, flanqué, à l’ouest, de tours d’habitation et "peut-être" (les plans sont à préciser), au sud, de petits parcs ou place publiques. Qu’on le veuille ou non, une partie de Griffintown va donc disparaître.
Évènement Souvenirs de Griffintown
Du 12 au 14 septembre
950, rue Ottawa à Montréal
www.remembergriffintown.org