DE NOUVELLES ARCHI-FICTIONS
Plus qu’une simple galerie exposant des projets d’architecture et d’urbanisme, Monopoli se veut, depuis ses tout débuts en 2001, un espace de création où artistes et architectes viennent donner leur interprétation de l’espace urbain, pour le plus grand plaisir du public. À ce titre, l’événement qui illustre sans doute le mieux la mission que s’est donnée la galerie est celui qu’elle a baptisé "Les Archi-Fictions". Née en février 2006, cette exposition dévoile le fruit de la collaboration exceptionnelle entre des architectes et des écrivains, parmi les plus connus au Québec. Six binômes viennent ainsi nous offrir plusieurs créations originales (composées chacune d’une nouvelle littéraire et d’une maquette ou d’une série de croquis) autour d’un thème donné. Il y a trois ans, des personnalités comme Gaétan Soucy et Philippe Lupien (concepteur de la TOHU) ont donné leur vision de la "ville invisible".
Aujourd’hui, la version 2008 des Archi-Fictions nous présente les six nouvelles créations des équipes qui se sont penchées sur la notion de "frontière émouvante", cette ligne de démarcation physique ou virtuelle où viennent se cristalliser les émotions humaines les plus fortes. "Plus qu’un séparateur d’entités géopolitiques, la frontière est ici vue comme un point de passage, cet espace où les événements surviennent. Car sans rencontre, confrontation ou échange, il n’y a pas d’histoire ni de récit possible…", explique la commissaire de l’exposition et directrice de Monopoli, Sophie Gironnay. Lors des trois soirées inaugurales des 23, 24 et 25 octobre, des nouvelles seront lues par des comédiens à la galerie Monopoli, où seront également exposées les installations correspondantes.
UN ESPACE DE HAINE ET D’INCOMPRÉHENSION
La frontière peut prendre la forme de cette barrière naturelle ou virtuelle où viennent s’agglutiner la haine, la xénophobie et la concupiscence pour séparer les individus parfois malgré eux.
La création de François Barcelo (l’incontournable du roman noir québécois) et Michel Langevin (cofondateur de NIP Paysage) extrapole, à partir d’un fait réel, une situation dans laquelle deux nations aussi peu enclines à l’impérialisme que le Canada et le Danemark pourraient prendre les armes pour s’arroger la propriété d’un îlot ridicule de l’Arctique.
De leur côté, l’auteur dramatique Larry Tremblay et Éric Gauthier, l’architecte qui n’est plus à présenter dans le milieu des arts (Espace Go, nouveau Quat’Sous, future Maison du Festival de Jazz…), ont opté pour une vision plus classique. La frontière est ici une montagne qui sépare deux peuples opposés par leurs coutumes et leur haine ancestrale. La montagne, dont Éric Gauthier nous livrera une maquette, est la frontière qui, en arrêtant le regard, empêche l’échange et la compréhension mutuelle.
Dans un même esprit, le lauréat remarqué du Combat des livres 2008 de Christiane Charette (pour La Logeuse), Éric Dupont, et Marc Pape (membre fondateur du collectif EKIP) ont voulu montrer comment les préjugés pouvaient ériger des barrières invisibles et pourtant infranchissables. Le récit d’un travailleur social maladroit perdu dans le Grand Nord et la construction mobile de Marc Pape nous invitent à penser que toute vérité est bien relative…
UN ESPACE INITIATIQUE ET UTOPIQUE
Mais, en poussant plus loin ses implications, la frontière peut aussi devenir cet espace où l’on bascule dans un ailleurs peuplé d’utopies et de fantasmes de toutes sortes.
Dans la fable politique de la poétesse et romancière engagée Hélène Monette, l’aberration que constituent les frontières entraîne la création inopinée d’une utopie. À la suite d’une série de conflits, l’échiquier géopolitique devient si embrouillé qu’une zone franche oubliée apparaît. Elle deviendra cette "terre d’aucun homme", petit havre de paix au milieu de nulle part, à l’instar du dôme suspendu d’Anick La Bissonnière, qui nous donne l’illusion d’être partout sans être nulle part.
Le romancier Serge Lamothe reprend l’univers loufoque de ses Baldwin pour faire d’une baleine échouée au fond d’un cratère "l’ultime frontière", espace de transition entre le pour et le contre politiques, le passé et l’avenir, la vie et la mort. Pour nous faire pénétrer dans la baleine, à l’instar de l’héroïne de ce conte écologique, l’architecte Richard de la Riva a imaginé une immense structure mobile faite de tiges flexibles qui évoque le squelette du cétacé.
Avec Catherine Mavrikakis et Jean-Pierre Chupin, la frontière, comme limite à transgresser, devient espace de désir et de fantasmes. La professeure et romancière, qui nous avait jusque-là plus habitués à des écrits vitriolés, s’est ici essayée avec bonheur au récit érotique. En parallèle, les dessins du professeur agrégé de l’École d’architecture de l’Université de Montréal et responsable du L.E.A.P. nous dévoilent un univers de sensualité où le mur priapique se dresse, où la porte impudique semble vouloir s’offrir…
Les Archi-Fictions de Montréal II: Frontières émouvantes
Du 23 octobre 2008 au 1er mars 2009
À la galerie Monopoli
181, rue Saint-Antoine Ouest à Montréal (métro Place-d’Armes)
Réservations pour les soirées de lecture: 514 868-6691