Vie

Les manufacturiers d’ici : Chaud dedans, les bottes d'ici

Un autre hiver de force s’annonce. On se presse devant les vitrines des magasins, à la recherche de l’accessoire le plus essentiel de la saison: une botte chaude, imperméable, pratique et esthétique. Et qui de mieux pour comprendre nos besoins que les manufacturiers d’ici?

Leurs produits rivalisent sur les rayons, mais ils forment le tout dernier bastion de manufacturiers de bottes d’hiver haut de gamme montréalais. Ils s’appellent Shuster et Lamanuzzi, Golbert, Passarelli et Rota. Ils auraient pu prendre les mêmes décisions d’affaires que plusieurs de leurs congénères, mais ils ont décidé, contre vents et marées, de garder leur production, en tout ou en partie, au Québec. Pourquoi cracher consciemment sur la possibilité d’une hausse significative des profits? On leur a posé la question.

LA CANADIENNE, LA VRAIE

Ce ne sont pas les relents de produits imperméabilisants qui embuent le regard du visiteur qui passe une petite heure à l’usine La Canadienne. C’est plutôt le sens que renferment toutes les coutures d’une simple – mais ô combien jolie – paire de bottes. Il faut voir la centaine d’employés à l’ouvrage, des dompteuses de machines à coudre le cuir, des docteurs ès pose de semelles, pour comprendre que l’on peut réellement s’émouvoir d’une chaussure. Tout ce petit monde s’échine à produire les modèles de la saison, accordant parfois plus de 150 étapes à la confection d’un seul article. Du grand art.

Penny Shuster est aujourd’hui actionnaire unique (avec son mari Gianni Lamanuzzi) de Penshu, l’entreprise qui héberge le label La Canadienne. Il y a 45 ans (l’entreprise s’appelait alors Gaby Footwear et appartenait au père de Penny), la compagnie produisait des marques telles qu’Aldo, Bally et Timberland. "Et puis, peu à peu, on a compris que la tendance serait à la délocalisation. Avant de devoir fermer notre usine parce que nos clients désiraient produire ailleurs, on a créé notre propre marque et on s’est concentré sur la production de celle-ci." Pour Penny, il s’agit d’abord et avant tout d’une question de principes, et non pas de profits. L’importation des matériaux – principalement d’Italie – coûte excessivement cher. Le salaire et la formation de la main-d’oeuvre aussi. "Mais je pense que, malgré le fait que nous semblions nager à contre-courant, les consommateurs recherchent nos produits. Ils choisissent de manger bio, de consommer local et d’encourager leur économie. À la fin, on verra qui a raison."

ANFIBIO, PURE LAINE OU PAS DU TOUT

"Le plus difficile, ce n’est pas de vendre nos produits, c’est de trouver de la main-d’oeuvre qualifiée", affirme Franco Rota, l’un des principaux actionnaires de Chaussures De Luca. En effet, les 35 000 paires de bottes au style classique que la compagnie produit chaque année trouvent preneur chez F.X. La Salle, Browns ou encore Jean-Paul Fortin, à des prix variant entre 225 $ et 325 $. "En fait, on vend 99 % de notre production au Québec et 1 % seulement à travers le Canada." C’est dire que la demande est bonne et que le produit est conçu spécifiquement pour nos enfers blancs.

Rota, qui se définit lui-même comme l’homme à tout faire de cette petite entreprise familiale sise boulevard Saint-Michel, n’éprouve pas le moindre petit désir de voir ses bottes être confectionnées ailleurs: "Nous employons une cinquantaine de personnes. Certaines d’entre elles sont avec nous depuis 20 ou 25 ans. C’est pour ça que même si les manufactures québécoises ne sont vraiment plus ce qu’elles étaient dans les années 1960-1970, je n’ai pas du tout le goût d’aller outre-mer. Plutôt mettre la clé sous la porte."

PAJAR, UN PIED ICI: LE BON

Jacques Golbert est en Allemagne lorsqu’on le joint par téléphone. La veille, il était en Italie, également à la recherche des matières premières pour les collections de l’an prochain. Fondé en 1963 par le père de Jacques, Paul Golbert, Pajar est aussi une histoire de clan. "Tous mes enfants font ou ont fait Ars Sutoria, la plus prestigieuse école de confection de chaussures qui soit. Ils aiment ça et c’est un travail créatif qui leur permet de voyager", d’ajouter Golbert sur un ton entendu lorsqu’on lui demande pourquoi, selon lui, sa famille a la peau (de mouton) dans le sang.

En 45 ans, Pajar a pris beaucoup d’expansion, devenant aussi le distributeur de marques comme Replay, Point Zéro, Paris Hilton et True Religion. Aussi, une partie de sa production de bottes, principalement celles en textiles, est faite "à l’extérieur". "Nous avons 50 employés à l’usine qui produit nos modèles haut de gamme. On ne fait pas 500 000 paires à Montréal, mais on nourrit plusieurs marchés et on arrive surtout à mieux répondre à la demande des consommateurs québécois. S’il faut produire une plus grande quantité d’un modèle, on arrive à livrer rapidement. S’il fallait attendre les livraisons de la Chine, ce serait beaucoup plus long! Et puis, c’est important pour nous de conserver cette identité canadienne, même si on doit être le dernier des Mohicans." Il y a aussi que le design canadien fait bonne figure en Scandinavie, en France ou encore en Autriche où les bottes Pajar se vendent comme des… petits pains chauds. En effet, nul ne saurait nier que l’hiver, nous on connaît ça.

CARNET D’ADRESSES /

Boutique La Canadienne
273, avenue Laurier Ouest
514 270-8008
Plusieurs autres points de vente et tous les modèles en ligne
www.lacanadienne.ca

Anfibio – Chaussures De Luca
514 279-4541
www.bottesanfibio.com

Pajar
1 888 667-2527
www.pajar.com

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LE MADE IN CANADA À TOUT PRIX?

Ne demandez pas à Gerardo Rubino de vous vendre le made in Canada à tout prix: "Honnêtement, il existe de très bons produits qui sont faits en Chine", affirme sans hésiter le vice-président des opérations chez Rubino, l’un des détaillants les plus spécialisés dans la vente de bottes d’hiver. Mais, soyons francs, une chaussure à 70 $ ne peut en aucun cas rivaliser avec un produit haut de gamme fait ici? "Évidemment, on a affaire à deux catégories complètement différentes, mais il y a une zone grise. Certaines entreprises, je pense à Blondo par exemple, supervisent la confection à l’étranger, utilisent de bons matériaux et offrent au final une botte de bonne qualité qui coûte 150 $ de moins que ce qui est fait ici." Selon Rubino, "acheter local garantit évidemment un excellent service à la clientèle et souvent une bonne durabilité, mais c’est d’abord et avant tout une question de fierté… et de moyens". C’est tout de même réconfortant de savoir qu’on peut avoir les pieds au chaud sans y laisser sa chemise. www.rubinoshoes.com, pour les 16 succursales.