Ce n’est jamais une mince affaire pour un restaurant que de renaître de ses cendres indemne. On ne reconstruit jamais à l’identique, et à trop innover, on risque de perdre son âme. C’est le défi qu’a eu à relever le designer Zébulon Perron lorsque les propriétaires de l’ancien Continental, disparu dans les flammes en juin 2007, lui ont demandé de réinventer l’espace du restaurant, sans en perdre l’esprit.
Au départ, il ne s’agissait même pas de rappeler l’ancien aménagement, le local choisi pour ouvrir le Petit Conti dès l’automne 2007 étant beaucoup plus petit que l’original. "Ce n’était pas assez grand; le plafond n’était pas assez haut. On ne pouvait pas réintégrer tels quels les éléments iconographiques de l’ancien restaurant, comme les banquettes perpendiculaires au mur, les colonnes lumineuses et l’immense bar", se souvient Zébulon Perron. Pourtant, il fallait retrouver l’esprit du Continental, auquel étaient si attachés ses habitués. Un esprit imprégné de cette culture esthétique américaine des années 1930 qui a donné le style si particulier du streamline. "L’idée était d’exprimer le mouvement, la vitesse, en transformant le lieu en une cabine de train des années 1930", explique le designer.
Avec beaucoup d’astuce, Zébulon Perron a fait de la contrainte d’espace un atout. Pour conserver au bar toute sa longueur, il l’a plié en U. Il a compartimenté l’espace avec des persiennes de verre et peint le plafond d’une couleur foncée. Car, comme le souligne le designer, "contrairement à une idée reçue, une couleur foncée au plafond ne crée pas une impression d’étouffement, mais élimine au contraire l’inconvénient des plafonds trop bas en en faisant disparaître les contours".
RENAISSANCE D’UNE INSTITUTION
Ce n’est pourtant qu’avec son agrandissement en novembre 2008 que le Continental (qui du même coup retrouve son nom) a pu recouvrer sa personnalité d’antan. "On avait désormais l’espace pour réintégrer certains des symboles du restaurant que l’on avait récupérés après l’incendie", raconte Zébulon Perron. C’est ainsi que la nouvelle salle à l’angle de l’avenue Duluth reprend les anciennes colonnes lumineuses et les fameuses banquettes adossées les unes aux autres. On y retrouve aussi des objets qui faisaient l’originalité de la décoration du Continental, comme l’espadon accroché au mur ou la carte d’un continent indéfini.
Mais le designer ne s’est pas contenté de reproduire ces différents éléments; il les a réinterprétés pour en bonifier l’impact visuel. Les morceaux de revues de mode qui composaient l’ancienne carte ont fait place à une fresque en relief, que des artistes ont réalisée à partir de cartes topographiques réelles. Au-dessus, les deux barres de lumière, faites de tôle pliée percée de luminaires, évoquent l’ancien plafond, tout en poussant plus loin l’idée de vitesse, chère aux années 1930. Au sol, une céramique ronde évoque par des motifs incertains les improbables rivages d’un continent lointain. L’idée du voyage et du mouvement reste toujours présente dans l’aménagement d’un lieu qui demeure l’une des "terres" de prédilection des professionnels du cinéma, du théâtre et des communications de Montréal…