Il a 31 ans et on lui en donnerait dix de moins. Malgré ses allures de petit garçon, nulle envie de l’affubler de l’épithète d’enfant terrible. Il est jeune, vrai, mais donne plutôt dans le look schoolboy anglais. C’est peut-être parce que Jérôme C. Rousseau a fait ses classes au Cordwainers College de Londres, grâce à une bourse d’études de la Fondation de la mode de Montréal. C’est peut-être aussi parce que le prodige de Roberval préfère transposer son exubérance dans ses créations.
Rousseau a eu la piqûre pour les chaussures aux courbes vertigineuses à 12 ans, en regardant un vidéoclip de la formation musicale new-yorkaise Deee-Lite: "Les souliers de Lady Miss Kier m’ont tout de suite attiré. Je ne savais pas que le style faisait référence aux années 60 et 70. Je pensais que ce groupe venait d’inventer les plateformes", confie le designer dans un français du Lac teinté d’accents british. "Ç’a été une révélation. À partir de ce moment, ce fut la chaussure ou rien." Il croit d’ailleurs que la singularité du projet qu’il a soumis à la Fondation de la mode lui a valu la bourse. "Ce que je proposais était différent et très précis. Il était aussi clair que je ne pouvais pas apprendre à faire des chaussures ici."
Après avoir appris le métier puis travaillé aux côtés de Matthew Williamson et John Rocha, il déménage à L.A. Depuis la Californie, il dessine les modèles qui composent sa première collection éponyme, lancée l’automne dernier. L’engouement de la presse américaine et internationale est immédiat. Les grands magazines de mode s’emparent de l’histoire. Les Vogue anglais et australien, entre autres, s’extasient devant les créations mondrianesques. Le Los Angeles Times s’enorgueillit du succès de "son" Jérôme. Le magazine Elle en Espagne n’annonce rien de moins qu’un hit.
Ici, par contre, c’est silence radio, jusqu’à aujourd’hui. "On ne trouvait tout simplement pas mes souliers au Canada avant que Holt Renfrew ne décide de distribuer ma collection printemps. C’est un grand privilège pour moi." Excès de modestie? Ailleurs dans le monde, Barneys, Net-à-Porter, Fred Segal ou encore Harvey Nichols peuvent se vanter de distribuer des Jérôme C. Rousseau.
Pour voir l’ensemble des créations de Rousseau, une visite au www.jeromecrousseau.com s’impose, Holt Renfrew n’ayant sélectionné que cinq modèles parmi la quinzaine créée pour la saison printemps-été. Un détour vers l’angle Sherbrooke-de la Montagne est aussi de rigueur, ne serait-ce que pour voir ces petits bijoux confectionnés en Italie, qui déshabillent élégamment le pied.
Pensons notamment aux bottes à bout ouvert (peep toe boots), que Rousseau qualifie de "dangerous disco". Mentionnons aussi les délicieuses "Medusa" que Holt Renfrew a achetées en blanc perlé (il en existe une version pop en rose, vert et noir). "On y retrouve des angles inédits, comme dans les oeuvres d’Ettore Sottsass", explique Rousseau, citant l’architecte et designer italien comme l’une des principales sources d’inspiration de cette collection.
Les merveilles se détaillent entre 625 $ et 795 $. Si notre carte platine n’est toujours pas dans le congélateur, s’en procurer une paire pourrait s’avérer une jolie manière de célébrer en grande pompe l’arrivée du printemps.
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LA CHAUSSURE: ESSENTIELLE OU ACCESSOIRE?
Le naufrage économique a transformé les fashionistas en recessionistas, édictant de nouvelles règles mode. L’une d’elles: acheter une ou deux paires de chaussures griffées est un investissement qui rapporte gros. Ainsi pourra-t-on, selon certains stylistes, donner une seconde vie à une vieille tenue ou conférer un chic fou à un ensemble de chez H&M. Qu’en pense le nouveau prince de la pompe? "Cela dépend évidemment de la tenue. Mais en général, il faut faire attention à ce que ce soit la femme qui porte les chaussures et non pas les chaussures qui portent la femme. Et surtout, surtout, il est important de se souvenir qu’un look réussi a l’air totalement effortless."