UNE CABANE-THÉÂTRE
Aménagé comme on bâtit une cabane, en murant les fenêtres, arrachant les escaliers et récupérant les portes pour en faire de faux plafonds, le Quat’Sous était à l’image de la personnalité frondeuse de son fondateur, Paul Buissonneau. Pourtant, il devenait impératif de le reconstruire ou, au moins, de rénover l’ancienne synagogue tant ses lacunes se faisaient de plus en plus sentir. Sans escalier de secours ni ascenseur, sans climatisation ni salle de bain, ce théâtre de bric et de broc défiait de plus en plus toutes les règles de sécurité et de salubrité. En outre, il n’y avait ni salle de répétition, ni loges décentes pour les artistes. En fait, le Quat’Sous était un des derniers théâtres à ne pas avoir bénéficié du programme de reconstruction et de rénovation des lieux de spectacles lancé par le gouvernement provincial dans les années 1990 (comme ç’a été le cas pour le Théâtre d’Aujourd’hui, l’Espace GO ou le Théâtre du Rideau Vert).
RÉNOVER OU RECONSTRUIRE?
Si, pour Buissonneau, "on pouvait bien démolir la vieille patente, pour faire quelque chose de beau à la place", tous les directeurs qui lui ont succédé craignaient que l’âme du théâtre ne se perde dans un nouvel édifice. Alors, pendant 15 ans, de nombreuses études ont évalué la possibilité de conserver les vieux murs. On a voulu agrandir en rachetant des terrains adjacents. On a pensé ajouter un étage sur le toit. On a même imaginé de soulever le bâtiment pour excaver un sous-sol et y aménager des loges et des toilettes. Mais cette dernière opération de 4 millions de dollars était loin de combler toutes les lacunes de l’édifice. "Tout le monde s’est finalement rendu à l’évidence que démolir et reconstruire était préférable", se souvient Éric Gauthier, l’architecte du nouveau théâtre.
CONSERVER L’ESPRIT DU LIEU
Si le consensus s’est finalement fait autour de la construction d’un bâtiment neuf, encore fallait-il s’entendre sur la nature de cette reconstruction. Tous souhaitaient voir une continuité avec l’ancien théâtre. Initialement, les autorités municipales tenaient à ce que le nouvel édifice soit en harmonie avec son environnement urbain. Or, l’avenue des Pins, voulue par Frederick Law Olmsted, est une voie artificiellement créée en 1907 qui n’a jamais tenu ses promesses d’avenue prestigieuse menant à la montagne. En outre, l’édifice existant, constitué de trois maisons en rangée, avait été tellement "charcuté" que sa valeur patrimoniale en était devenue nulle. Ce qui importait, donc, ce n’était pas tant d’essayer de reproduire le bâtiment que d’évoquer l’esprit de "bricolage à la Buissonneau" qui l’avait fondé.
UN COLLAGE ARCHITECTURAL
"Nous avons incorporé au nouvel édifice le plus d’éléments possible de l’ancien théâtre pour en évoquer la mémoire", explique Éric Gauthier. Or, l’époque n’est plus à imiter l’ancien avec des matériaux nouveaux, comme pendant la brève épopée du post-modernisme. Le nouveau Quat’Sous est donc un édifice à la géométrie résolument contemporaine auquel on a ajouté des matériaux, des couleurs et des artefacts qui rappellent l’histoire du théâtre. L’avant-corps en ardoise du mur donnant sur la rue Coloniale évoque l’ancien toit en mansarde. La pierre grise raconte les origines du bâtiment, les feuilles d’aluminium blanc perforé, celles du théâtre, tandis que la brique noire de la façade arrière rappelle la peinture qui l’avait recouvert. À l’intérieur, l’architecte a reproduit le sol en marbre cassé, le mur rouge de l’escalier, les meubles capitonnés, le vieux bar bricolé avec des portes d’armoires, jusqu’aux fameux fauteuils rouges de la salle de spectacle.
UNE AUDACE RAISONNABLE
L’âme de Buissonneau a beau glisser en filigrane sur la paroi de verre en haut de la façade du théâtre, on peut se demander si l’architecture du nouveau bâtiment est aussi audacieuse qu’a pu l’être son turbulent fondateur et si on n’aurait pas pu aller plus loin. Somme toute, avec sa rigueur géométrique et ses grandes parois vitrées, le Quat’Sous s’apparente à ce que l’on voit ailleurs. Pourtant, Éric Gauthier a pris des risques. "On m’a reproché ce collage de matériaux, ce manque d’uniformité", rapporte-t-il. L’architecte a même été surpris qu’on l’ait laissé mener à bout ce projet, tant les résistances à la nouveauté sont en général nombreuses à Montréal. Après le traumatisme du post-modernisme, le respect des gabarits et l’intégration à l’environnement sont devenus des règles incontournables dans la Métropole. "Est-on prêt pour des édifices plus audacieux, comme semble l’être Toronto (avec son Sharp Centre for Design de Will Alsop ou son Royal Ontario Museum de Daniel Libeskind)?" s’interroge Éric Gauthier. Prenons alors le nouveau Quat’Sous comme une ébauche d’audace, peut-être une invitation à l’être vraiment la prochaine fois…
Théâtre de Quat’Sous, 100, avenue des Pins Est, Montréal, 514 845-7277
Spectacle d’ouverture: Dans les charbons / poésie carnivore, de Loui Mauffette, présenté du 27 avril au 24 mai