Vie

Drague en terrasses : Boire et déboires

Il me demande: "Laïka ou Réservoir?" Je lui réponds: "Réservoir." Va savoir pourquoi, j’ai la vague intuition que le centre névralgique de la faune branchée de Montréal n’est pas exactement l’endroit idéal pour une douche froide. Et puis à 17 h, j’ai bon espoir de trouver une place discrète dans le recoin de la petite terrasse, au deuxième étage. Bingo, je fais face à la baie vitrée, comme ça, je le vois venir de loin, celui-là.

Visiblement pas assez. Après un café, il me sort son questionnaire de Proust, tout ça est vite expédié. "Ah mais non, ça ne peut pas marcher entre nous, il dit. Tu préfères le sorbet au pamplemousse et moi la glace à la vanille, t’es trop sophistiquée, tu vois, pas assez nature." Ah bon. Du coup, je peux me rabattre sur la mirifique crème au chocolat, c’est toujours ça que les Suisses auront pas, comme dirait l’autre. De toute façon, je m’en fous, ce soir je vais flamber sur la terrasse du Plan B, là où les gens sont beaux et le cousin de ma copine Julie, un designer de génie. Enfin, si je parviens à le retrouver. C’est la cohue, il faut jouer des fesses pour passer, et la moitié des membres de l’UDA sont là. "Elle est des nô-ôtres, elle doit boire son verre comme les au-ôtres!" Formidable.

Une heure et une interminable conversation sur l’intérêt d’une bonne stratégie marketing plus tard, je tente une dernière sortie vers la terrasse, pardon, pardon, pardon, aïe, t…, tant pis. Il faudra user du texto pour retrouver Julie: "Té où?" "Là." "Là, où?" "Ben, derrière toi." "Je te vois pas." "O.K., rdv devant, dans 5 min." Le cousin designer a mis les voiles avec ses nouveaux amis d’Ubisoft, une invitation impossible à refuser pour aller tester la suite de Call of Juarez, ça chauffe sous le soleil de l’Ouest et les frères McCall ne sont pas contents. Déprime. Soudain, j’ai besoin d’un peu d’espace. Direction la terrasse du Koko. Ici au moins, pas de collègues collants, juste des gens classe. Enfin, sauf lui. Je l’avais pas vu venir avec son sourire carnassier. "Pardon mademoiselle, il me semble vous avoir déjà vue quelque part. Chez Bertrand de la Mourette, hier soir?" "Ah non, moi, tu vois, je suis plutôt glace à la vanille."

Tiens, Christophe ! T’as pas l’air en forme.

ooo

Next terrasse

Elle me demande: "Réservoir ou Laïka?" Je réponds: "Au Laïka." C’est mon premier rendez-vous avec M. "Je serai celle avec un MacBook", me précise-t-elle. Pas de chance, quatre filles tapotent sur leurs petits laptops gris titane lorsque j’arrive. M. me reconnaît. La feuille de papier sur laquelle j’avais écrit "Blind Date!" a aidé. Elle me fait signe.

Devant deux bières, on entame la discussion: comparaison des politiques d’urbanisme des grandes villes branchées, divagations nostalgiques sur le charme tranquille de l’Europe, présentation de nos blogues perso. Autour de nous, des jeunes gens, sans doute des "créatifs", pianotent sur leurs ordis. Laïka oblige. À la fin de quatre heures de dialogue, il est temps de se quitter. Mais avant, elle m’explique que dans un monde postmoderne, l’amour est sans pitié et que si l’âme soeur existe, elle se trouve quelque part ailleurs, à Stockholm, Montpellier ou Amsterdam. Dommage pour moi. Next terrasse.

Il est 10 h du soir lorsque je quitte le Laïka. Je me dis que m’attend peut-être, au Café Méliès, une jolie jeune femme esseulée. C’est le cas. Je m’assois à la table voisine de celle d’une belle blonde, sans doute cultivée (elle lit le dernier Dickner, c’est bon signe). Je m’apprête à l’aborder et lui dire que je connais Nicolas personnellement quand passe devant la terrasse un banc de jeunes filles lookées comme si elles s’étaient échappées d’une pub d’American Apparel. Avec leurs microjupes et leurs décolletés plongeants, elles sont probablement en transit entre la terrasse du Buonanotte et celle du Shed. Je stoppe net, hypnotisé par le va-et-vient constant des bimbos. La jeune femme de la table d’à côté sourit et me lance, amusée: "Contre elles, je ne fais pas le poids." Je lui dis qu’au contraire, elle fait plus que le poids. Elle répond: "Alors, vous me trouvez grosse?" Je rétorque: "Non, bien, ce n’est pas ce que je voulais dire. Je parlais de votre cul (elle éclate de rire)… ture générale. Le roman que vous lisez…" Elle paye son verre et part avant que j’aie le temps de finir ma phrase. Me laissant là avec mon air con. Next terrasse.

Direction Koko, mais là c’est juste pour me rincer l’oeil, je ne suis pas assez beau, riche ou connu pour draguer sur cette terrasse-là, qu’on dirait téléportée de Miami ou de Nice. Tiens, Aurore, tu fais la gueule?