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Marc-André Plasse : Bête à deux têtes

Il vient de recevoir un prix de l’Ordre des architectes du Québec pour l’aménagement du Quattro D et fait partie de l’équipe qui organise les soirées de design Pecha Kucha Montréal. Marc-André Plasse partage sa vision du Montréal de demain, sans langue de bois…

Voir: Quel est votre parcours professionnel?

Marc-André Plasse: "Après mes études en architecture à l’Université McGill, j’ai travaillé six ans pour l’Atelier in situ. J’ai fondé Nature Humaine en 2003 et me suis associé avec Stéphane Rasselet un an plus tard. C’est en travaillant sur le projet de monastère pour les moines d’Oka qu’on s’est rendu compte qu’on travaillait bien ensemble."

Vous êtes complémentaires?

"Non, on est comme une bête à deux têtes. On a fait les mêmes études, au même endroit, et on a la même façon de penser. On ne se spécialise pas. Chacun est responsable de ses propres projets, mais au bout du compte, il est bien difficile de savoir qui s’est occupé de quoi, tant nos conceptions respectives de l’architecture sont similaires."

Quelle est cette conception de l’architecture?

"On n’a pas d’idée préconçue ni de méthode qu’on applique systématiquement. Tout dépend du contexte. Et on est beaucoup à l’écoute du client dont on reprend quelques mots-clés pour nous guider. En général, on part d’une idée de base simple pour jouer ensuite avec les matériaux. Si l’on prend l’exemple du Quattro D, le client voulait un concept hybride d’aliments frais, évoquant la campagne, servis dans un contexte urbain. C’est comme ça qu’on a eu l’idée du pique-nique urbain qui nous a donné l’esprit du lieu."

C’est donc cet esprit qui compte, plus qu’un style particulier?

"Oui, l’important pour nous est de donner une âme à un lieu pour que les gens s’y sentent bien. Quand on étudie l’aménagement d’un espace, on se met d’abord à la place du futur usager pour se demander où on aimerait s’asseoir, manger, etc. On fait une sorte d’écologie humaine en s’interrogeant sur la façon dont notre intervention va influencer la perception qu’auront les gens du lieu."

Dans cette optique, est-ce que vous privilégiez certains projets ou matériaux?

"Tous les projets peuvent être intéressants. La construction du hangar municipal d’Acton Vale n’était pas, a priori, un projet très sexy. Pourtant, on est parvenu à en faire quelque chose de très positif. C’est la même chose pour les matériaux. L’important, c’est leur authenticité. On vit dans une société qui valorise l’immatériel. Lorsque, dans un condo, on a des murs de gypse, des comptoirs en stratifié et des luminaires en PVC, on perd la saveur des choses. Je crois que le rôle de l’architecte est de permettre aux gens de se reconnecter avec leurs sens."

Est-ce que cette responsabilité est assumée par beaucoup d’architectes à Montréal?

"Lorsque j’ai commencé à travailler, il n’y avait pas plus de trois ou quatre bureaux à la démarche intéressante. Aujourd’hui, il y en a une bonne vingtaine. Le design et sa qualité sont devenus plus importants qu’avant pour les professionnels et le public."

C’est ce qui contribue à faire de Montréal une "ville de design"?

"Quand je vois les choses extraordinaires qui se passent dans des villes comme Berlin ou Mexico, je ne suis pas sûr que Montréal soit une ville de design. On sent beaucoup moins de liberté ici. On arrive à faire des choses très bien, comme le nouvel aménagement de la Place des Arts ou la Grande Bibliothèque, mais elles n’ont rien de très créatif. C’est comme si on était traumatisé par les folies architecturales des années 1960. Aujourd’hui, à Montréal, tout ce qui sort de l’ordinaire fait peur."

Faudrait-il faire une révolution?

"Je ne crois pas. J’admire un Le Corbusier, mais je sais aussi que les principes de l’architecture d’après-guerre ont participé à détruire certains tissus urbains. Si un artiste peut se permettre d’explorer de nouvelles voies, l’architecte a aussi la responsabilité de ne pas créer d’espaces inhumains. Cela ne m’empêche pas de penser qu’il faudrait changer certaines choses à Montréal. Je n’accepte pas que nos élus soient si timorés en ne sélectionnant que les firmes d’expérience et les plus bas soumissionnaires, sans privilégier la qualité des projets proposés. Il faudrait aussi laisser plus de place aux jeunes architectes. Dans une société qui a peur du risque, il est très difficile d’accéder à des commandes publiques. Il faudrait prévoir des concours réservés aux jeunes professionnels, par exemple pour des projets d’excédant pas 1 million de dollars…"

www.naturehumaine.com