Vie

Carl Honoré : L'école en burn-out?

Pour Carl Honoré, auteur du Manifeste pour une enfance heureuse et de l’Éloge de la lenteur, nous préparons mal les enfants d’aujourd’hui à devenir les adultes de demain.

Voir: Selon vous, on impose un emploi du temps trop dense à nos enfants.

Carl Honoré: "En effet, nous avons imposé notre rythme de vie à nos enfants. Mais ce que je recommande va plus loin que d’alléger l’emploi du temps des étudiants. Nos enfants sont hantés par nos rêves, nos peurs, nous leur transmettons les angoisses et les impératifs de notre culture de la vitesse. De nos jours, l’éducation de nos enfants est devenue un croisement entre le sport compétitif et la production d’un nouveau produit. En tant que société, on a perdu l’art d’être parent."

Les enfants manquent donc de temps libres?

"Il faut imposer une discipline par rapport à l’utilisation du temps. La baisse de la pratique de la lecture chez les jeunes est, par exemple, un signe de la mauvaise gestion de leur temps. Les professeurs d’université se plaignent du fait que leurs étudiants ne lisent plus. C’est que nous ne prenons plus le temps de plonger dans la vision du monde d’une seule personne. C’est anticulturel. Zola n’est pas compatible avec Twitter! Mais c’est aux parents de donner aux enfants le goût de la lecture et donc la capacité de prendre son temps, d’être patient. Si les parents ne lisent plus, il n’y a pas beaucoup de chances que les enfants lisent. C’est une problématique qui s’autoperpétue. Un enfant a besoin d’espace, de temps, de silence, de temps de jeu et de réflexion."

On ne peut tout de même pas nier que depuis une génération il y a eu des progrès en matière d’éducation! Le tableau est-il vraiment si sombre?

"Je ne crois pas qu’il y a eu un âge d’or de l’enfance. Chaque génération commet des erreurs et possède ses points forts. Aujourd’hui, par exemple, les pères sont de plus en plus engagés dans l’éducation de leurs enfants. Par contre, nos enfants connaissent d’importants problèmes: physiques, pensons à l’obésité, ou psychologiques, surtout chez les enfants de la classe moyenne, dont des milliers prennent du Ritalin. L’objectif d’élever un enfant, c’est de le préparer à devenir adulte. Mais les étudiants demeurent de plus en plus longtemps dépendants de leurs parents. Tellement que maintenant, en Angleterre, les étudiants universitaires peuvent nommer leurs parents comme "agents de représentation"!"

Vous dites donc que les enfants et les adolescents souffrent à la fois d’un manque d’attention et d’un emploi du temps trop chargé?

"C’est important de mettre l’enfant au centre de son apprentissage. Cela veut dire qu’il faut lui laisser le temps d’apprendre à son rythme, mais aussi appliquer une certaine discipline. En ce moment, on oscille entre trop faire et ne pas en faire assez. On pousse les enfants, on organise leur emploi du temps d’un côté, et de l’autre on leur dit "oui" à tout. C’est parce que nous sommes obsédés par l’idée du bonheur et de la perfection. On ne veut pas que l’enfant connaisse la souffrance, alors on a peur de le discipliner."

Avons-nous les écoles qu’il faut pour préparer l’avenir?

"Je ne veux pas culpabiliser les écoles. La plupart des pays ont hérité d’un système scolaire du 19e siècle. À l’époque, on préparait les élèves à être ouvriers ou fonctionnaires. Bien sûr, le monde a changé plus rapidement que nos écoles. Maintenant, le défi est de former des gens créatifs qui ont de l’imagination et l’envie de créer le prochain iPod, de changer le monde. Actuellement, le système est épuisé."

L’école ne conçoit pas assez les jeunes comme des individus?

"C’est comme si nous étions à la recherche d’une recette universelle. Nous voulons prendre une gamme infinie d’enfants et les mettre sur un seul chemin. Même en tant que parents, nous avons perdu la capacité de trouver notre propre chemin. Qu’est-ce qui se passe lorsqu’une femme tombe enceinte? On court tous acheter les mêmes bouquins, censés nous enseigner à devenir des parents modèles. Pourtant, chaque enfant, chaque famille est unique. C’est ça, le paradoxe. On lit souvent qu’on vit dans un monde postmoderne, qui propose une infinité de choix de vie, mais en réalité nous sommes dans une course à l’homogénéisation. Dans notre société, tout le monde doit être pareil, y compris les enfants."

Manifeste pour une enfance heureuse
de Carl Honoré
Éd. Marabout, 2008, 344 p.