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Sauvons la pinte : Du lait et du patrimoine

Le 25 septembre, Héritage Montréal annonçait que la pinte de lait géante derrière le Centre Bell allait être sauvée de la rouille. Derrière ce coup de pub original se dessine une nouvelle façon de promouvoir la sauvegarde du patrimoine montréalais.

Cet imposant réservoir de 6 tonnes et de plus de 16 mètres de hauteur était en train de rouiller dans l’indifférence générale. Pourtant, Héritage Montréal avait déjà essayé d’attirer l’attention sur son état de délabrement en l’incluant dans sa liste des 10 sites montréalais d’intérêt patrimonial menacés de disparition. "Cela faisait déjà cinq ans qu’on l’avait identifié comme l’un des emblèmes du patrimoine montréalais à sauvegarder", confirme Dinu Bumbaru, directeur des politiques de l’organisme. Repeindre cette citerne ne va pas pour autant assurer sa mise en valeur. Mais cela permettra de gagner du temps. "En stoppant sa détérioration, on s’évite d’ici quelques années une campagne publique dénonçant sa laideur et aboutissant à sa destruction", explique Dinu Bumbaru.

Pourtant, on est en droit de se demander pourquoi il faut absolument mettre en valeur un réservoir d’eau utilisé dans les années 1930 comme système anti-incendie… Construit au-dessus d’une laiterie (à une époque où le lait été rendu responsable de plusieurs épidémies), ce réservoir fut l’une des premières enseignes publicitaires du genre, vantant la pureté des produits de la Guaranteed Pure Milk. Il constitue un symbole de la présence de l’industrie laitière au centre-ville de Montréal, voire de l’importance du lait dans l’histoire alimentaire de Montréal et du Québec.

UNE PINTE ÉDUCATIVE

Mais, outre son importance symbolique, cette citerne a valeur d’exemple. Car, en matière de patrimoine (comme dans d’autres domaines), le danger est souvent de rester dans l’abstrait, alors que le commun des mortels a besoin de choses concrètes. Et il faut d’abord attirer l’attention sur ces choses. Comme le souligne Claudine Déom, responsable du programme M.Sc.A. Conservation de l’environnement bâti de l’Université de Montréal, "avant qu’il y ait reconnaissance de la valeur patrimoniale d’un édifice, il faut qu’il y ait une identification de cette valeur. Dans le cas de la pinte, on a joint l’utilité d’une restauration à la nécessité d’en faire parler pour la sauvegarder". Et pour en faire parler, on a même été jusqu’à créer une page dans Facebook (www.sauvonslapinte.com)…

Mais au-delà de la sensibilisation de la population, ce "coup de pinceau sur une pinte de lait" aura aussi été l’occasion d’amorcer un partenariat original donnant une autre perspective à la notion de sauvegarde patrimoniale. Pour l’occasion, Héritage Montréal s’est en effet associé à la Fédération des producteurs de lait du Québec et à d’autres partenaires aussi variés que l’agence publicitaire Sid Lee, le fabricant de peintures AkzoNobel (propriétaire de Sico), l’afficheur Trans-Optique, les échafaudages Du-For et le cabinet Ryan Affaires publiques. Cette initiative est l’occasion pour l’organisme montréalais de lancer un appel à des partenariats pour tous les autres sites de sa liste d’icônes en péril…

LA PARTIE IMMERGÉE DE LA PINTE

Aussi méritoire soit-elle, il faut tout de même garder à l’esprit que la restauration d’une citerne ne va pas pour autant garantir la sauvegarde de l’ensemble du patrimoine montréalais. Or, en dehors de sa destruction pure et simple, un danger plus insidieux qui menace celui-ci est… l’oubli. Pour Dinu Bumbaru, si des édifices remarquables comme les maisons Redpath ou Sir Louis-Hippolyte La Fontaine sont laissés à l’abandon, c’est parce que leurs propriétaires entretiennent des rêves de développement immobilier qui ne sont pas démentis par les municipalités. "Une métropole moderne qui se veut ville de design devrait pouvoir donner des avis clairs sur ses choix d’aménagement, en commençant par se doter d’un service d’urbanisme central et indépendant." Sinon, c’est la porte ouverte aux attentes de dérogations et… au patrimoine laissé pour compte.

Et le patrimoine va parfois bien au-delà de l’histoire et de l’identité collective pour flirter avec le développement durable. L’ancien planétarium a une valeur architecturale (exemple du courant moderniste à Montréal) et historique (premier planétarium public au Canada, il témoigne de l’intérêt pour la science et de sa démocratisation dans la société montréalaise à la veille d’Expo 67). Mais il pose aussi un enjeu environnemental, son revêtement en cuivre rendant sa destruction problématique. "Il faudrait s’interroger sur la réaffectation d’un bâtiment aussi important pour Montréal. Ce qui n’a pas encore été fait…", constate Claudine Déom.

www.heritagemontreal.org/fr/la-pinte-de-lait-guaranteed-pure-milk/