Vie

Joseph Helmer : De la haute

Joseph Helmer vient de loin et pourrait bien y retourner un jour. Entre Haïti et Montréal, Montréal et Paris, Paris et Montréal, un prénom perdu en un nom devenu synonyme de haute couture, l’homme est resté flegmatique.

Il a l’épingle piquée au col. Constamment. Pas pour la frime, Joseph Helmer sait d’expérience que tout peut changer jusqu’au dernier moment, à deux doigts du défilé: "Certaines robes sont comme des soufflés. Je travaille beaucoup à la dernière minute. C’est aussi ça, parfois, la haute couture." Et la haute, Helmer en sait quelque chose. Avant d’être lui et avant les défilés sous sa propre bannière, le designer a cousu pour les grands: Mugler, Dior, Chloé… L’expérience lui aura donné le luxe des anecdotes croustillantes et tendres, où l’on apprend au détour d’une conversation que Karl Lagerfeld est "le plus relax, quelqu’un d’extra qui offre des fleurs et des chocolats au petit matin aux personnes qui ont travaillé tard dans la nuit avec lui", ou que Jean-Paul Gaultier va parfois jusqu’à remercier les intérimaires après un show.

Car c’est un fait, pour faire partie des grands, il y a des règles à respecter, et la première d’entre toutes: faire appel au savoir-faire des autres. "Quand on met Galliano chez Dior, ce n’est pas de la haute couture. La haute couture, c’est avant tout une technique, qui inclut sept corps de métiers", précise-t-il, pointilleux, avant d’ajouter que Montréal, au même titre que Paris, possède elle aussi des ressources précieuses: "À Paris, dans les ateliers, on rencontre des artisans asiatiques, polonais. Ce sont des gens qui ont reçu une formation chez les bonnes soeurs. Il y a les mêmes à Montréal, les mêmes compétences, mais on les exploite mal. Je n’arrête pas de le dire, mais on ne m’écoute pas!"

L’art du fil

Cette fois-ci, on l’écoute, Joseph Helmer, nous raconter comment il a été formé à 16 disciplines différentes. D’abord à Montréal, dans les manufactures de pantalons, "pour payer les études". Une "belle histoire d’amour" avec DaVinci, entreprise qui existe encore, boulevard Saint-Laurent: "Ma première formation a été celle de tailleur. Là, on apprend à tout faire, jusqu’à fidéliser sa clientèle." Ensuite, il y aura Paris, la broderie chez Lesage, où il se familiarise avec l’art du fil dans toute sa complexité et devient l’artiste scrupuleux qu’on connaît aujourd’hui, le maniaque du détail. Il apprend le respect de l’artisan et celui des heures passées à faire d’une pièce une oeuvre d’art: "C’est le nombre d’heures, le plus important. Les jeunes ont du mal à comprendre cela. Pas un manque d’ambition, mais un manque de connaissances."

À l’époque parisienne et entre ses 27 heures de travail par jour, Helmer court les vernissages: "J’étais partout, j’avais besoin de ça, c’est la meilleure façon de découvrir les choses." Les yeux sont grands ouverts et l’inspiration, multiple. Comme aujourd’hui. Grand amateur de musique, le designer aime à créer pour chacun de ses défilés une ambiance particulière. Sa dernière collection a littéralement soulevé le public de la Semaine de mode de Montréal. Le concept du défilé: un enterrement, intitulé Les Sept Femmes de Barbe-Bleue ("J’ai toujours trouvé que les enterrements étaient plus élégants que les mariages"), porté par les notes de Lambarena: Bach visité par un orchestre suisse, le tout enregistré en plein désert africain, mixé avec des chants grégoriens et des discours du pape.

La poubelle

Mégalo, un peu, mais précisément: l’effet est imparable, et à la hauteur des vêtements et chapeaux, dont on n’apprécie vraiment la qualité et l’extrême délicatesse qu’en les voyant de près. Raison pour laquelle, entre autres, Joseph Helmer a ouvert il y a peu de temps sa propre boutique, sur une portion du boulevard Saint-Laurent où il n’y a pas d’autres boutiques de mode, "comme ça je suis sûr qu’on y entre pour les bonnes raisons". Kamikaze? "On l’est tous un peu dans le monde de la mode, répond-il, mais c’est notre quotidien de ne pas savoir ce que les prochains mois nous réservent." Flegmatique, Joseph Helmer. Sur un mur de la boutique, une photo sur laquelle figure une de ses robes les plus célèbres, faite de patchwork: "On m’avait passé la commande d’une série de robes, et il m’en fallait absolument cinq. Alors, un peu au dernier moment, j’ai récupéré deux morceaux de mes nappes et j’ai fait une robe avec. Je l’ai appelée La Poubelle. C’est une de mes pièces les plus connues (rires). On ne décide pas vraiment de ce qui va marcher ou non…"

www.helmerjoseph.com