Vie

Complexe Jean-Talon : La mort vous va si bien

Créer des espaces funéraires plus "vivants", c’est l’ambition que s’est donnée l’entreprise funéraire Alfred Dallaire | Memoria, avec notamment son dernier-né, le complexe Jean-Talon. Unique en son genre.

Si ouvrir un espace et y faire entrer le plus de lumière possible font désormais partie des gestes de base du design d’intérieur contemporain, c’est tout à fait inusité, voire iconoclaste, en matière d’architecture funéraire en Amérique du Nord. Dans notre culture, la mort est associée à de petites salles obscures. L’idée de se rebeller contre ces habitudes vient de Jocelyne Légaré, présidente d’Alfred Dallaire | Memoria. "Ayant été élevée dans l’atmosphère confinée des salons funéraires, elle voulait créer un lieu qui puisse réinscrire la mort dans la vie", rapporte sa fille, Julia Duchastel, responsable du projet de rénovation du complexe Jean-Talon.

En 1999, Jocelyne Légaré inaugure une série de nouveaux espaces qui vont réinventer le salon funéraire traditionnel, boulevard Saint-Laurent. Plutôt que des pièces fermées et sombres, avec des tapis et des plafonds bas, le nouveau complexe tire profit du volume spectaculaire de 25 pieds de hauteur d’une ancienne banque pour offrir un espace totalement ouvert, dont les rares cloisons de verre dépoli laissent filtrer une lumière omniprésente. "À l’époque, ç’a été décrit comme quelque chose de "très bizarre" par le New York Times", se souvient Julia Duchastel. Les deux salons funéraires suivants (celui de Laurier en 2007 et celui de Jean-Talon cette année) seront conçus dans le même esprit: créer des espaces chaleureux et modulables, afin que chaque famille puisse facilement se les approprier pour rendre moins pénible l’épreuve de la mort.

Convivialité austère

La difficulté en ce qui concerne le complexe Jean-Talon aura été de trouver un équilibre entre la convivialité des lieux et l’austérité qu’impose leur dimension spirituelle. Si la lumière naturelle est très présente, elle est toujours adoucie par du verre translucide, à l’instar des cloisons de marbre et de verre gris qui marquent l’entrée des salons du rez-de-chaussée. La lumière artificielle est elle aussi plus diffuse, grâce à des éclairages indirects ou aux petits luminaires encastrés dans les plafonds. L’acier patiné cher à Jacques Bilodeau (qui a aussi fait l’aménagement du complexe Laurier) confère aux comptoirs, rampes d’escaliers et cloisons une modernité empreinte d’une sobriété religieuse, tout comme le mobilier Le Corbusier qui compose les différents salons.

Le caractère sacré du lieu est réinterprété pour le rendre moins étouffant. Les tapis sont remplacés par un revêtement en plynyl, moins austère mais tout aussi efficace sur le plan acoustique. La couleur dorée qui recouvre le bas du bar et les caissons de lumières du plafond évoquent avec légèreté les dorures qui habillaient les églises d’autrefois. Même la chapelle renonce à son austérité habituelle. Du simple symbole de la croix accroché à un mur du salon de l’avenue Laurier, on passe, rue Jean-Talon, à un assemblage de lames de verre teinté qui filtre la lumière de l’extérieur pour composer l’idée diffuse du passage dans l’au-delà.

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Espace fluide et lumineux

C’était un salon funéraire traditionnel, avec sa chapelle en sous-sol et ses trois petits salons de réception au rez-de-chaussée, installé dans un bâtiment sans grand intérêt construit dans les années 60, à l’angle des rues Jean-Talon et Christophe-Colomb. L’architecte Marc-André Plasse et le designer Jacques Bilodeau ont fait d’un lieu étriqué et lugubre un espace plus fluide et lumineux. "On visait plus de décontraction, tout en respectant la vocation du lieu", explique l’architecte. C’est par des gestes simples et un jeu étudié de matériaux que les deux designers sont parvenus à relever ce défi.

En façade, les colonnes de béton et les meneaux apparents ont été enlevés pour lisser le design haché des fenêtres d’origine en un bandeau de verre horizontal. L’entrée principale, déplacée au coin des rues, fait place à une large baie vitrée. Ce traitement de façade annonce un espace intérieur épuré, conçu sous le signe de la lumière et de la modularité. Au rez-de-chaussée, les anciens petits salons sont devenus un grand salon d’exposition que l’on peut diviser en deux grâce à une cloison amovible. À l’étage, le plancher rajouté au-dessus de l’entrée d’origine s’arrête avant le mur pour créer un puits de lumière. Cet ancien espace inoccupé s’articule désormais autour d’un imposant bar central et s’ouvre sur deux salles de réception modulables.