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L’exposition À noter du Centre Canadien d’Architecture : L'architecture en notes

L’exposition À noter du Centre Canadien d’Architecture met en valeur la naissance et l’épanouissement, depuis 50 ans, d’une dimension intellectuelle de l’architecture. On écrit plutôt que de construire. Entretien avec la commissaire, Sylvia Lavin.

Voir: Quel a été le point de départ de cette exposition?

Sylvia Lavin: "C’est la période, dans les années 1960, à partir de laquelle certains architectes néo-avant-gardistes (comme Eisenman, mais aussi ceux de Superstudio ou de la revue Archigram) vont créer une contre-culture en utilisant l’écriture comme vecteur de création architecturale, plutôt que la construction elle-même."

Pourtant, de Vitruve à Le Corbusier, les architectes ont toujours écrit. En quoi ce mouvement des années 60 était-il différent?

"C’est vrai que l’écriture a toujours été un élément essentiel de l’architecture, à l’instar de Vitruve, que l’on ne connaît pas pour ses réalisations architecturales, mais pour ses dix ouvrages qui ont été pendant des siècles le fondement de la discipline architecturale. Cela dit, avant l’époque du conceptualisme, les écrits en architecture avaient pour objet des bâtiments. Avec les années 60, l’écriture devient elle-même une oeuvre architecturale en soi. Lorsque Peter Eisenman écrit un texte sur l’architecture, constitué de petites notes, qui transforme le processus architectural en une conversation avec ses lecteurs, il fait de ceux-ci les acteurs d’un événement collectif. Pour lui, créer une dynamique sociale était une des fonctions essentielles de l’architecte."

Quel impact cette intellectualisation de l’architecture a-t-elle eu sur la pratique des architectes contemporains?

"Ce souci de faire valoir la dimension intellectuelle de l’architecture en l’associant aux percées de l’art conceptuel, de la linguistique et de la philosophie a permis de faire exister l’architecture en dehors de ses applications pratiques, en l’associant à la culture populaire, aux médias de masse, à la publicité et aux technologies émergentes. Par exemple, il est rare aujourd’hui de voir une publicité télévisée pour une voiture sans qu’elle soit associée à un bâtiment (comme la bibliothèque de Seattle de Rem Koolhaas ou le Disney Concert Hall de Frank Gehry). Que les agences de publicité ne voient aucune contradiction entre une Toyota et une salle de concert est la preuve d’une formidable forme de continuité nouvelle entre des domaines qui étaient autrefois séparés."

En parlant de grands architectes actuels, comme Rem Koolhaas ou Bernard Tschumi, on a parfois l’impression que pour exister aujourd’hui comme architecte, il est plus important d’avoir un discours conceptuel que de construire réellement. Qu’en pensez-vous?

"La plupart des architectes qui ont réalisé de nombreux projets ont également des convictions intellectuelles qui les motivent. Si vous faites référence à Tschumi ou Koolhaas, par exemple, il faut savoir qu’avec des centaines d’édifices à leur actif, ils ont beaucoup plus construit qu’un Le Corbusier."

N’est-il pas tout de même dangereux, à terme, de mettre trop l’accent sur le concept architectural, alors que la discipline est censée répondre avant tout au bien-être des utilisateurs?

"À partir du moment où 99 % des édifices dans le monde sont construits sans l’intervention d’un architecte, je pense qu’il est utile de considérer la possibilité que construction et architecture ne soient pas la même chose. En outre, à la suite du tremblement de terre en Haïti, le monde entier a été effaré de constater que si la nourriture et les médicaments avaient bien été livrés sur l’île, personne n’avait su comment les distribuer, faute de planification stratégique. Les architectes qui réfléchissent deviennent des experts de la conception stratégique, ce qui a des implications autant matérielles que conceptuelles."

Comment avez-vous pu rendre compte de la dimension de l’architecture dans une exposition qui, par nature, est visuelle?

"Tout simplement parce que depuis 50 ans, l’architecture a bénéficié des progrès technologiques comme la vidéo, les images de synthèse ou le iPhone. Cela donne une exposition merveilleusement diversifiée, qui utilise différents supports ayant chacun leur propre logique visuelle. Cette diversité fait d’ailleurs partie du message de l’événement, et on peut y assister sans avoir à lire un seul mot!"