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Claude Provencher : Pour une architecture impliquée

À l’occasion du lancement du livre Provencher Roy + Associés architectes, Voir s’est penché sur la situation actuelle de l’architecture à Montréal à travers les réalisations d’une de nos plus importantes firmes. Entrevue avec son cofondateur, Claude Provencher.

Dans son préambule, l’ancien directeur de l’École d’architecture de l’Université de Montréal, Georges Adamczyk, souligne le caractère "impliqué" de votre architecture, c’est-à-dire respectueuse de son environnement social et culturel. Pourriez-vous développer cette idée?

Claude Provencher (associé cofondateur de Provencher Roy + Associés): "Je ne crois pas en la séparation entre l’action de l’architecte et son milieu. Un bon projet est celui qui contribue à la ville. Par le passé, notamment dans les années 1960 et 1970, les architectes n’avaient pas toujours cette préoccupation. Ça a donné des bâtiments comme ceux de la Place des Arts, qui, avec leurs façades aveugles, n’établissent aucun dialogue avec la rue. Aujourd’hui, on veut des projets ouverts sur la ville, à l’image du pavillon J.-A.-DeSève de l’UQAM. Il faut que les gens se sentent bien dans un espace et puissent se l’approprier. Pensez à la transformation radicale du Quartier international, qui est devenu un lieu de vie."

Le client est-il toujours en accord avec cette philosophie?

"Lorsqu’on conçoit un bâtiment, il faut toujours garder à l’esprit les préoccupations de celui qui nous le commande. Le client doit se sentir compris. Cela dit, il ne faut surtout pas le faire de façon servile. Pour la rénovation du Ritz-Carlton, on a, par exemple, imposé notre idée d’ajouter un élément contemporain pour mettre en valeur le bâtiment patrimonial d’origine."

Ce genre d’ajout est-il aujourd’hui la meilleure façon de rénover un ancien bâtiment?

"Ce n’est pas systématique. Dans certains cas, comme l’édifice ouest du parlement à Ottawa, ce n’est pas souhaitable. Mais en général, parce que les matériaux et les techniques de construction d’origine n’existent plus, c’est préférable à une copie ratée. D’ailleurs, c’est ce genre d’intervention qu’on voit partout dans le monde, du Reichstag de Berlin à la pyramide du Louvre. Dans le même esprit, la nouvelle verrière qui coiffera l’arrière de l’église Erskine and American est faite pour mettre en valeur les collections d’art inuit du Musée des beaux-arts."

Comment voyez-vous le métier d’architecte aujourd’hui à Montréal?

"On a de plus en plus de bons professionnels. En fait, les jeunes architectes d’aujourd’hui sont meilleurs qu’avant, avec un niveau de sensibilité et une qualité d’intervention nettement supérieurs. À ce titre, il est significatif de voir que depuis 10 ans, les architectes québécois raflent la majorité des prix du Gouverneur général ou du Canadian Architect. Mais paradoxalement, nos architectes ne construisent pas beaucoup par rapport à leurs homologues ontariens et de l’Ouest canadien. Pire, l’architecture est le parent pauvre des nouvelles orientations du gouvernement québécois."

Que voulez-vous dire?

"Les partenariats public-privé que veut favoriser le gouvernement n’ont pas pour objectif de valoriser l’architecture. C’est un exercice purement financier. Dans son dernier numéro, le magazine de l’Ordre des architectes du Québec, Esquisses, rapportait un mot de la ministre responsable du projet de construction de la salle de l’OSM qui affirmait que dans ce dossier, l’architecture n’avait pas d’importance!"

N’est-ce pas le propre de tout projet d’envergure?

"Pas du tout! La rénovation et l’agrandissement de l’aéroport de Montréal, c’est un projet de 1,5 milliard de dollars qui s’est réalisé de façon très harmonieuse en se traduisant par une architecture honnête et élégante, obtenue avec un budget qui ne représente que le quart de ce qu’a coûté l’aéroport de Toronto. Non seulement l’aéroport de Montréal est-il maintenant un espace lumineux, ouvert et agréable à vivre, mais en plus, il attire les transporteurs qui reviennent à Montréal parce que les coûts d’exploitation y sont plus abordables qu’à Toronto. En revanche, en adoptant le principe des 3P (partenariat public-privé), le projet du CHUM est devenu très lourd, très long et très dispendieux. En outre, lorsque c’est un promoteur-constructeur qui donne la direction, plutôt que le client final, l’architecture n’est plus une priorité. C’est ce que je crains qu’il se produise avec les universités, alors qu’elles ont toujours favorisé l’architecture. Mais aujourd’hui, le gouvernement veut leur imposer le principe des 3P. C’est d’autant plus regrettable que ce qui fait la force des architectes québécois, c’est leur capacité à faire de la qualité avec de petits budgets. Pour le Musée des beaux-arts, nous ne disposons que de la moitié de ce qu’avaient Libeskind ou Gehry à Toronto…"

Provencher Roy + Associés architectes
2009, 237 pages