Vie

Mode et musique : Envoyez la musique !

Tandis qu’en France, Charlotte Gainsbourg chante en Balenciaga et que Coeur de Pirate pose pour la très hype marque The Kooples, ici aussi, mode et scène musicale font (bon) ménage. Décomplexés, les musicos causent chiffons et jouent les images de marque…

"Quand tu changes d’habit, tu changes de party", nous lance Gabriel Louis Bernard Malenfant, ou plus simplement Gab, un des trois membres du groupe Radio Radio, la plus grande sensation hip-hop/électro du moment au Québec. Émules malgré eux des valeureux Beastie Boys, les Radio Radio. Et ce, jusqu’aux fringues, d’inspiration 1980 à leurs fracassants débuts: "C’est vrai qu’on ressemblait aux Beastie avant, mais c’était pas voulu. On s’habillait comme ça tout simplement, et puis les choses évoluent…" Certes, les choses ont évolué et les trois lascars les plus courus de la scène locale depuis la sortie de leur deuxième opus, Belmundo Regal, ont lâché en cours de route leurs vieux oripeaux fluo pour un style nettement plus "mature" question couvre-chefs. Mais rien dans tout cela qui ne doive au hasard. Telles les stars du rap US, les Radio Radio assument un goût prononcé pour le look étudié, façon concept total, et en parlent sans complexe: "On aime tous s’habiller, on fait attention aux moindres détails, c’est une façon d’avoir du contrôle sur notre expression." Et de balancer en vrac la dernière collection de Balmain, les créations d’Alexander McQueen, "pour sa vision artistique toujours poussée et surtout parce que j’adore le mélange de papillons, d’extraterrestres et de tasses de thé", Philip Sparks – "sa dernière collection est très prêt-à-porter et ses vêtements sont parfaits pour des petits matelots qui se promènent un peu autour du monde à la fois décontractés et jet-set, comme nous! Et puis il n’a pas peur d’utiliser des couleurs, surtout des pastels, ce qui est important dans un monde où c’est trop facile de ne porter que du noir" – et Norwegian Wood côté accessoires – "Une créatrice de Montréal. Ses bijoux comblent mon côté mystique et new age."

Détournement volontaire d’image

Incestueux, les rapports entre le monde de la mode et celui de la scène musicale ont repris du coffre ces dernières années avec l’avènement des groupes indie inspirés de la britpop, et, à l’autre bout du spectre, l’explosion d’un hip-hop post-gangsta rap. Les marques font jeu double (Kitsuné, label électro-rock indépendant français et marque de mode), et on ne compte plus les Lily Allen qui quittent (temporairement, s’entend) la scène pour lancer leurs propres collections. Et ceux (et celles) qui ne se sentent pas l’âme d’un couturier n’hésitent plus à donner un peu du leur à une marque de vêtements, l’enseigne parisienne The Kooples s’étant fait une véritable spécialité de ces détournements volontaires d’image. Dans leur dernière campagne, Coeur de Pirate pose pour la postérité aux côtés de son amoureux, le chanteur du groupe Naive New Beaters. Pas la première incursion de la chanteuse dans le domaine de la mode puisqu’elle apparaît aussi dans la collection automne-hiver 2009-2010 de la designer montréalaise rachel.f., portant fièrement l’un des sacs de fourrure et cuir recyclés qui sont sa spécialité.

Dans la même campagne, le duo Orange Orange revêt des oreillettes de fourrure, un exercice auquel les deux comparses semblent avoir pris goût puisqu’ils sont, depuis peu, les fers de lance de la marque montréalaise Voyou. "La mode faisait déjà partie de notre univers, dit Sabrina, par ailleurs grande fan d’Eve Gravel et Bodybag. Elle rapproche les gens, comme la musique. On aime jouer avec les accessoires, des petites folies orange qui ressemblent à notre univers musical. Je connaissais bien la marque Voyou, alors l’entente s’est faite naturellement." La designer Marie Cayer a saisi l’occasion: "Mes vêtements sont très inspirés de la culture alternative, que ce soit en musique ou en sport. Le style d’Orange Orange convenait parfaitement, à l’avant-garde, et j’aime le dynamisme de Sabrina, elle est explosive, extravagante. Ça faisait longtemps que je voulais les soutenir."

Échange de bons procédés

Une manne. Pour les jeunes designers québécois comme pour les musiciens émergents, la collaboration ressemble à un échange de bons procédés. Ainsi, le groupe The Spleen, jeune recrue de la scène rock de Québec, a misé sur le nouveau site Internet Gonefashion portant, comme son nom l’indique, sur la mode, y compris locale. Francis Frenette, leader du groupe, ne cache pas sa sensibilité au look: "Quand j’étais enfant, je choisissais moi-même mes vêtements. Pour moi, la mode est aussi une manière de s’exprimer, le lien est facile à faire avec la musique. Ce n’est pas étonnant de voir autant de designers mélomanes, ou de voir de grands noms de la musique créer leurs propres collections." La collaboration avec le site permet au groupe de trouver des vêtements à sa pointure. Le créateur du portail est ravi: "C’est un site consacré en grande partie aux marques québécoises, explique Francis Allard-Bélanger, et le style du groupe "fittait" bien avec le style de vêtements que nous proposons, sobre et urbain."

Pas encore marqués, les trois acolytes de Radio Radio préfèrent encore nager en eaux libres. "On n’a pas de styliste, on se laisse porter par l’inspiration du moment. Le hip-hop, on l’a oublié, mais ça a drainé pas mal de styles différents: dans les années 80, les rappeurs portaient du cuir." À chaque album, son look: "C’est un vrai concept. Pour notre premier album, plus électrique, c’était les running shoes, un style vacances étudiantes et bière; pour le deuxième, on est passé à autre chose de plus organique, on a donc chaussé les mocassins, le style années 20, relax, le retour au bon vieux temps. C’est les vacances en Toscane, on rencontre la famille et on boit du vin. L’univers de Belmundo Regal est celui d’un citoyen global, gypset, qui privilégie un style de vie nomade, polyvalent, avec une grande dextérité culturelle. Cet individu se promène et s’adapte sans cesse face à divers environnements, autant dans les célébrations de pygmées que dans les partys d’ambassade, et cela, avec folie et élégance… Pour le prochain, on sera nu-pieds." Et une petite citation pour la route? "Un homme devrait toujours avoir l’air d’avoir acheté ses vêtements avec intelligence, de les avoir enfilés avec soin, puis tout oublié d’eux." (Hardy Amies)

The Kooples: www.thekooples.com
rachel.f.: 1417, rue Dézéry, Montréal, 514 969-0892, www.rachelf.ca
Voyou: www.voyou.ca
Gonefashion: www.gonefashion.com