Vie

Denis Gagnon : Phénomène de mode

On s’écharpe pour assister à ses défilés: 50 ans et bientôt au musée, le designer québécois Denis Gagnon n’est pas près de prendre la poussière. Et encore moins de se taire.

Denis Gagnon reçoit dans la cuisine. "Tout ça ne change rien à ma vie. Je vais continuer à vivre dans mon appartement… qui n’est pas mon appartement." Tout, c’est l’intérêt médiatique autour de défilés pleins à craquer et du documentaire Je m’appelle Denis Gagnon présenté lors du dernier Festival international du film sur l’art (FIFA), une collection pour Bedo et une exposition à venir au Musée des beaux-arts l’automne prochain. Expo mystérieuse – "C’est un secret d’État" – et unique en son genre: Denis Gagnon est le premier designer québécois à entrer au Musée. "Pour moi, c’est un privilège. Pour la profession, la preuve que nous ne sommes pas des faiseurs de guenilles, mais des artistes."

Gagnon se démocratise

Artiste, oui. L’"enfant terrible" a 50 ans et il n’a pas pris que des rides. En 30 ans de carrière, Denis Gagnon a pris du coffre, et il commence seulement, dit-il, à trouver sa "recette": "J’en ai fait à ma tête pendant longtemps. Si tu commences à te demander si ce que tu fais va marcher, c’est foutu. Mais c’est aussi important d’avoir une constance dans les lignes, ce qui n’a pas toujours été mon cas. J’ai été trop influencé par les autres, "insécure"." Depuis trois ans, il y a donc une vraie direction dans le travail du designer, mais ne lui demandez pas laquelle: "C’est la question qui tue. Quand c’est le temps d’écrire le profil de ma collection, je demande à quelqu’un d’autre de le faire pour moi." On évoquera donc à sa place l’emploi du cuir, qu’il a retourné de toutes les manières possibles, l’inspiration années 1920, le qualificatif de "romantique hard" donné par la presse, les coups de folie – les slips roses ajourés pour hommes et les vêtements pas mettables, à l’image de cette robe de la dernière collection pesant près de 25 kg -, l’omniprésence du comparse, ami et inspiration Yso, sur lequel il essaie nombre de ses modèles.

Avec Bedo, Gagnon "se démocratise": 300 $ au lieu de 3000 $ pour un manteau, et un contrat "revu et corrigé" pour éviter les mauvaises surprises. Échaudé, le designer évoque en marchant sur des oeufs la fin de sa collaboration avec la marque de sacs Fullum & Holt: "Mes sacs continuent à être vendus… sans mon nom. Ils font des profits avec, mais les gens savent, tu sais, les gens savent…" Pas homme d’affaires pour un sou – "Je suis nul à chier", lance-t-il en riant -, Denis Gagnon a retenu quelques leçons de ses revers, et en premier lieu de la fermeture du magasin du boulevard Saint-Laurent en 2007: "J’ai fait les mauvais choix: un loyer exorbitant, le mauvais emplacement. Les gens cherchaient des vêtements à 150 $ et on leur proposait des choses à 1500 $. Mais on s’est bien amusé à l’époque à chercher des affaires vintage dans le Vieux-Montréal. J’adorerais refaire ça."

Trop vieux pour la lèche

Du coffre et, avec les années, une tendre lucidité et un franc-parler jouissif dans un milieu toujours trop capitonné, Denis Gagnon ne s’embarrasse pas de formules ampoulées pour qualifier sa situation et celle des designers québécois. "Moi, j’ai choisi de rester, et maintenant je suis trop vieux pour tout reprendre à zéro et faire de la lèche. Mais un jeune, s’il est très talentueux, doit être capable de se reconnaître et de se dire: "Je n’ai rien à foutre ici." Il doit s’exporter d’emblée, comme Rad Hourani l’a fait, aller défiler à New York. La Semaine de mode? Il n’y a même pas Fashion Television, et de toute façon, tu vas vendre à qui au Canada?"

Pas amer pour autant, Gagnon peut s’avérer intarissable, particulièrement lorsqu’il s’agit d’évoquer sa jeunesse au Maroc, les virées parisiennes, ou encore les autres, ceux qui l’inspirent, les yeux tournés vers l’Europe: Martin Margiela, Renata Morales, qui lui a offert ses fameuses lunettes, Rick Owens, Yves Saint Laurent, bien sûr. "C’est primordial de rester alerte", dit-il dans son salon rempli de pièces de design parmi lesquelles un fauteuil Philippe Malouin. Alerte et productif: "La retraite? C’est fait pour ceux qui n’aiment pas ce qu’ils font."

Collections en vente chez Holt Renfrew, 1300, rue Sherbrooke Ouest, 514 841-1111
www.denisgagnon.ca