Vie

Philippe Lamarre : Mémoire visuelle

L’identité d’une ville se trouve dans sa trame urbaine, dans son architecture, mais aussi dans le graphisme de ses enseignes. Philippe Lamarre a entrepris de recenser ce design graphique vernaculaire à travers le monde et, notamment, à Montréal. Portrait d’un aventurier d’un design urbain perdu…

On connaît Philippe Lamarre comme l’un des cofondateurs d’Urbania, ce magazine un peu iconoclaste qui veut nous faire redécouvrir le Québec sous un angle nouveau. Pourtant, Philippe Lamarre n’est ni journaliste, ni rédacteur en chef. C’est un designer graphique qui se passionne pour la ville dans ce qu’elle a de plus humain, de plus vivant. C’est d’ailleurs ce qui va l’amener à imaginer Urbania. Après un bac en design "itinérant" à Montréal, aux États-Unis et à Vancouver, il fourbit ses premières armes en design graphique avant de créer son propre studio de création, Toxa, en 2000. Trois ans plus tard, il fonde Urbania. "Plutôt que d’attendre le client idéal, nous l’avons inventé."

À partir de là, le designer peut non seulement travailler un produit graphique selon son inspiration, mais il peut gérer un contenu qui se penche sur la ville dans ce qu’elle a de plus unique: les habitants qui participent de son identité. "Ce qui m’intéressait, c’était l’identité de la ville à travers les lieux les plus insolites et les personnes qui les font vivre", se souvient-il. C’est le prélude à la série documentaire Montréal en 12 lieux que l’on retrouve sur TV5 en 2007. On y découvre des lieux peu connus comme la Cité 2000, cette ancienne usine de caoutchouc reconvertie en studios de répétition, et on y redécouvre des lieux que l’on croit connaître comme la station de métro Berri/UQAM, à travers des personnages colorés qui fondent leur identité. Car ce qui intéresse avant tout Philippe Lamarre, ce sont les gens qui sont derrière ce qui fait que chaque ville est unique. C’est d’ailleurs ce qui va le conduire à se pencher sur ce qu’il appelle le "design graphique vernaculaire".

Design graphique vernaculaire

"En vacances, je passe mon temps à prendre des photos de choses sans intérêt", confie-t-il avec un sourire entendu. Panneaux "no parking", enseignes de commerces, pancartes peintes à la main et autres graffitis en tous genres. "J’adore la trace humaine derrière ce graphisme parfois maladroit, mais toujours authentique." Pour le designer, ce graphisme fait même partie des éléments-clés qui permettent d’identifier une ville. Il trouve dans les vieilles enseignes des symboles urbains. À Montréal, l’enseigne de l’ancienne épicerie Simcha du boulevard Saint-Laurent symboliserait ainsi la coexistence souvent difficile des cultures anglophone et francophone. "Avec la loi 101, beaucoup d’enseignes écrites en anglais ont dû être réécrites en français. Mais avec le temps, l’ancienne inscription réapparaît."

La nouvelle bourse Phyllis-Lambert Design Montréal, créée en 2008 pour les jeunes designers montréalais, va lui donner les moyens d’explorer davantage son goût pour ce graphisme urbain identitaire. Premier lauréat de cette bourse, Philippe Lamarre entreprend en 2009 un voyage d’études à Buenos Aires et à Berlin pour y identifier les icônes d’un graphisme propre à ces villes. À Berlin, il est frappé par une typographie "très carrée", comme "coupée au couteau". En Argentine, en revanche, il découvre un graphisme plus chaleureux, derrière lequel on sent la personnalité de ses auteurs. Et même si ces témoignages sont parfois kitsch, Philippe Lamarre y voit des symboles importants qui nous définissent. "Aujourd’hui, tout le monde utilise la même typographie. La mondialisation a pour effet de niveler le design graphique de nos villes. Or, je crois que c’est important d’avoir des symboles qui nous appartiennent."

À Montréal, le designer a identifié les icônes graphiques que sont les poteaux tricolores des anciens barbiers, les enseignes de dépanneurs commanditées par les multinationales de boissons gazeuses, les gros hot-dogs et poutines colorant à la peinture aérosol la devanture de certains restaurants antédiluviens… Et lorsqu’on lui fait remarquer que ces artefacts ne sont pas toujours du meilleur goût, il répond que son intention n’est pas de porter un jugement de valeur, mais de simplement constituer une mémoire visuelle d’un design graphique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Il vient d’ailleurs de créer un site Internet interactif qui expose le fruit de ses recherches à Berlin, Buenos Aires et Montréal. Chacun peut ajouter des visuels à ses galeries virtuelles et même en créer de nouvelles.

www.graphismevernaculaire.com