D’abord, bémol concernant la forme. "Cette architecture-là est-elle propre à Québec, à la Grande Allée, ou peut-elle être exportée à Montréal, Sherbrooke, Baie-Comeau sans problème?" se demande l’architecte et urbaniste émérite Marcel Junius. Selon lui, ce type de construction abonde dans les revues actuelles dédiées à l’architecture. Et manque cruellement d’émotion. "Ça va être beau, mais ça aurait dû être plus déclencheur. Ça aurait pu être plus subtil. À l’heure actuelle, de ce que j’en sais, je ne vois pas dans les plans l’étincelle d’un état de grâce architectural." Cela, même si, avec le verre, l’édifice risque bien de briller de tous ses feux sous le soleil. "La vitre? C’est un filon comme un autre. Oui, c’est clair, c’est ouvert, mais où est l’émotion? La construction, c’est fait pour tenir l’architecture, et l’architecture, elle, est faite pour émouvoir." Quant au terrain, l’urbaniste le juge trop petit, ce qui atténuera l’effet de la lumière et éliminera l’aspect monumental auquel on aurait pu s’attendre de la construction. "Il faut que l’édifice continue, qu’il y ait des prolongements au sol."
Ainsi, autre bémol: aurait-on dû le situer ailleurs, cet agrandissement? "La question qu’on devrait plutôt se poser, c’est "Qu’est-ce qu’on garde?". L’idée de prendre des risques sur le plan architectural, de jumeler moderne et ancien est bonne, mais on ne doit pas prendre des risques en démolissant tout ce qu’il y a", estime le chroniqueur urbain Réjean Lemoine. Selon lui, dans un contexte où des administrations municipales ont cherché, en 1988 et en 2008, à faire de la Grande Allée une artère historique, il y a lieu de se questionner sur leur volonté de préserver le patrimoine… "Il faut oser, oui, mais oser dans une ville patrimoniale, ça veut dire qu’on ne sacrifie pas des bâtiments pour ça." Y aurait-il eu d’autres endroits, plus à propos, pour construire l’agrandissement du Musée national des beaux-arts du Québec tout en gardant son caractère moderne? Sûrement. "Et cela, sur Grande Allée. Ou encore sur les plaines d’Abraham. Il n’y a jamais eu d’études sérieuses sur la question."
L’idée d’un bâtiment sur les Plaines aurait aussi indéniablement plu à François Dufaux, chargé d’enseignement à l’École d’architecture de l’Université Laval. C’est que, selon lui, l’agrandissement proposé ne répond tout simplement pas aux besoins du musée. Bien au contraire. "Côté espace, l’agrandissement est justifié. Mais il y a un problème au Musée national des beaux-arts, outre l’espace. Normalement, un musée est construit telle une boucle. On entre, on se promène, on revient à l’entrée pour se diriger vers un autre espace, sans revenir sur ses pas. L’idée est de faire circuler. Toutefois, ce musée est fait de deux culs-de-sac. Comment monter un parcours émotif lorsqu’on est constamment interrompu? Le défi, c’est donc de transformer ces culs-de-sac en boucles et, en ce sens, l’agrandissement aurait dû se trouver à l’arrière plutôt qu’à l’avant." Troisième bémol, donc…