Qu’avez-vous voulu montrer dans cette exposition?
Éric Gauthier: "Une douzaine de projets sont présentés, avec des plans et photographies à l’appui, en établissant une parenté de construction entre eux. Plutôt que de montrer chaque réalisation comme une oeuvre en soi, Denis Bilodeau a cherché à déterminer des pistes conceptuelles qui répondent à une démarche d’ensemble. Il a notamment retenu des notions de trame et d’index qui sont omniprésentes dans ce qu’on fait. Par exemple, se référant à la notion d’index définie par Rosalind E. Krauss (selon laquelle une oeuvre d’art est non pas un objet en soi, mais le moyen de désigner une réalité), il a montré que chez nous le mur rideau n’est pas un objet sculptural, il est une forme de cadrage de l’environnement d’un bâtiment. C’est ce qu’on a fait avec le Centre des sciences pour orienter le regard du visiteur sur certains points du Vieux-Port, mais aussi avec le Quat’Sous, dont la fenestration du dernier étage est bloquée sur la montagne."
N’est-ce pas un peu artificiel d’avoir voulu trouver un dénominateur commun architectural à vos réalisations, alors qu’il semble évident que ce qui les réunit, c’est la culture et, plus particulièrement, le spectacle?
"En tant qu’architecte, on choisit non pas ses clients, mais plutôt la façon dont on va traiter un sujet donné. Denis n’a donc pas trouvé pertinent de choisir l’architecture culturelle comme thématique. D’ailleurs, j’ai fait autre chose que des salles de spectacle, comme le Complexe sportif du Collège de l’Assomption ou le Centre CDP Capital. Ceci dit, c’est vrai que la grande majorité de mes réalisations sont dans le domaine de la culture. Je suppose que c’est comme pour le casting. Il y a des acteurs qui auront toujours le rôle du méchant; d’autres, celui du gentil. Mais je crois aussi que les artistes se sentent bien avec nous parce qu’on a appris à les écouter. Les gens du milieu culturel veulent toujours quelque chose d’unique qui soit le reflet de ce qu’ils sont, et non pas du langage spécifique d’un architecte. Les dirigeants du Quat’Sous ne voulaient pas que le théâtre ressemble à l’Espace GO…"
Mais chacun de vos bâtiments culturels cherche à être unique, ce qui semble contredire la démarche d’ensemble que veut faire ressortir l’exposition.
"Je ne pense pas. Je suis comme un portraitiste qui, tout en ayant son langage propre, tente de s’adapter à chacun. On retrouve l’assemblage de pierres calcaires utilisé pour la Biosphère autant à la salle de spectacle de l’Assomption qu’à l’Espace GO. Un autre exemple, c’est l’orthogonalité qui est toujours très forte dans nos réalisations, sous forme de grille ou plutôt de trame rigoureuse. Ceci dit, je ne cherche jamais à me mettre en avant en considérant mes réalisations comme des oeuvres d’art. Je crois qu’il faut éviter toute forme de vedettariat. Il y a une ambiguïté dangereuse dans le métier d’architecte. On exerce une profession dans laquelle on passe son temps à se donner des prix. Pourtant, on a toujours une latitude relativement limitée en termes de création, puisqu’il faut respecter avant tout les besoins et désirs du client. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on est simplement là pour répondre aux contingences imposées. On doit aussi bousculer les choses et offrir de la fraîcheur, du neuf. On doit être fier de ce qu’on fait. Au départ, beaucoup voulaient conserver le Quat’Sous comme avant. Finalement, on est parvenus à convaincre tout le monde de créer quelque chose de nouveau. Et aujourd’hui, tout le monde semble satisfait…"
Éric Gauthier vu par Denis Bilodeau
Du 7 mai au 18 septembre
À la Maison de l’architecture du Québec,
181, rue Saint-Antoine Ouest, Montréal, www.maisondelarchitecture.ca
ooo
Éric Gauthier: architecte de la culture
FABG fait sans doute partie des plus anciens cabinets d’architectes québécois. Fondé il y a 50 ans par André Blouin, il a activement participé au développement de Montréal (Stade olympique, Place des Nations de l’Expo 67…). Avec Éric Gauthier, devenu associé en 1988, la firme semble s’être progressivement spécialisée dans l’architecture d’édifices à vocation artistique et culturelle. En 1993, il prend en charge la restauration du Monument-National. En 1994, il remporte le concours pour la réhabilitation de la Biosphère. En 1995, il conçoit l’Espace GO. Dans les années 2000, le Cirque du Soleil lui confie les agrandissements successifs de son siège social et la conception de ses studios pour artistes. Plus récemment, il transforme intelligemment une ancienne caserne de pompiers pour accueillir la maison de la culture Maisonneuve (2005) et fait du nouveau Quat’Sous (2009) une interprétation contemporaine de la "cabane" faite de bric et de broc par Paul Buissonneau dans les années 60. L’an dernier, il parachevait la rénovation de l’édifice art déco Blumenthal pour y loger la Maison du Jazz et il vient d’être désigné pour réaliser la transformation en centre communautaire de l’ancienne station-service de l’île des Soeurs conçue par Mies van der Rohe.