Vie

Pierre Thibault : Éloge de la lenteur

Si l’architecte Pierre Thibault fait l’apologie de l’architecture lente dans son inspirant livre Les Maisons-nature, vous n’aurez besoin que de quelques instants pour tomber sous le charme d’une pratique qui oppose à la consommation rapide la contemplation et l’adéquation à l’environnement.

Architecte émérite vivant à Québec, Pierre Thibault est à l’origine de plusieurs projets résidentiels, institutionnels et culturels, dont la magnifique abbaye Val Notre-Dame des moines d’Oka, en plus d’être professeur à l’Université Laval. À la base de son travail, une constatation qui sous-tend toute son approche: les gens changent selon le lieu où ils se trouvent.

"Oui, ça c’est vraiment incroyable, affirme-t-il. J’essaie de le faire réaliser aux étudiants. Comme là, on revient de Tokyo et on a compris qu’on pouvait faire des espaces de qualité même s’ils étaient plus petits. Et notre rapport à l’espace a changé: en revenant chez moi, ma maison m’a semblé immense!"

Des changements qu’il a pu constater aussi chez les gens avec qui il a créé les maisons qu’il nous présente dans l’ouvrage Les Maisons-nature de Pierre Thibault. À travers neuf histoires qui racontent la conception d’autant de maisons bâties sur des sites exceptionnels – dont la maison de campagne de l’architecte lui-même -, c’est aussi neuf rencontres, neuf cheminements qu’il dévoile, mettant en lumière un monde fascinant où la lenteur est au centre du processus de création.

HABITER L’ESPACE

La condition sine qua non à respecter pour construire une maison-nature, "en lien avec tous les éléments naturels"? Prendre son temps pour concevoir le plan, en apprivoisant le site, la lumière naturelle – l’architecte suggère d’y retourner à plusieurs moments de la journée et de l’année -, pour ultimement trouver l’emplacement idéal.

Comme il se plaît à le répéter: "L’architecture, c’est trouver une réponse simple à un problème complexe." Et cette réponse, elle se trouve lentement, d’où la comparaison faite par Thibault entre le slow food et "l’architecture lente". "L’architecture a malheureusement suivi cette tendance de la consommation rapide, où on construit à peu près n’importe quoi sans réfléchir, même si au contraire ça devrait être pensé pour le long terme et le bien commun. J’aimais ce parallèle avec le mouvement slow: prendre son temps, réfléchir, utiliser les ressources locales… Et quand on réfléchit, on se rend compte qu’on a besoin de moins de choses et on essaie d’aller à l’essentiel."

L’architecte affirme en conclusion de l’ouvrage qu’il serait possible d’importer l’idée des maison-nature en ville; il travaille d’ailleurs présentement à la création d’un espace situé sur le plateau Mont-Royal à Montréal. "On a changé de paradigme en changeant de siècle, croit-il, faisant référence à des concepts comme le développement durable. Ça amène les gens à rechercher un nouveau type d’habitat où on peut faire plus de choses à pied, utiliser les transports en commun. Bref, on revient vers les concepts d’éco-quartiers."

Car s’il faut penser à des espaces privés sobres et de qualité, le manque à gagner est surtout flagrant du côté des espaces communautaires. Et le Québec aurait grand avantage à s’inspirer de ses voisins européens, notamment les pays nordiques, où ce type d’espaces est privilégié. "À Copenhague, les habitats sont plus compacts et les gens n’ont peut-être pas de cour, mais il y a plein de beaux grands parcs et de petits parcs pour les enfants à proximité. L’aménagement de l’espace a beaucoup de répercussions sur notre vie en société. Ainsi, créer des espaces communs de qualité pour se réunir, se rencontrer instaure le désir de partage et permet de redécouvrir le plaisir de vivre en communauté."

Les Maisons-nature de Pierre Thibault
de Pierre Thibault
Éd. La Presse, 2010, 144 p.