De nombreux artistes contemporains retournent aux idées et aux formes du modernisme. Quelle est l’ampleur du phénomène?
Lesley Johnstone: "Il existe beaucoup de vidéos et de films du genre, parce que les édifices modernistes servent de cadre à de nombreuses fictions. Mais l’influence du modernisme a touché également les autres disciplines artistiques, comme la peinture, la littérature ou la sculpture. Depuis une dizaine d’années, c’est dans l’air du temps."
Qu’avez-vous voulu montrer par cette exposition?
"Tout d’abord, j’ai voulu attirer l’attention sur la grande diversité des regards que portent les artistes contemporains sur le modernisme. Et puis, il était important pour moi de souligner l’idée de conversation qui s’établit entre l’artiste et son modèle, qu’il soit designer ou architecte. Le postmodernisme des années 1980 ne faisait que critiquer, tandis que les artistes d’aujourd’hui semblent regarder le modernisme avec une forme d’amour. La caméra de Dorit Margreiter rend hommage à la dynamique de l’espace construit par Lautner. Ce n’est pourtant pas de la nostalgie, mais plutôt une réflexion sur l’utopie qui sous-tendait le modernisme. Lors d’une table ronde avec les artistes invités, tous m’ont dit que leur oeuvre n’était pas une critique de l’objet ou du bâtiment qu’elle prenait comme sujet, mais une réflexion sur notre société qui, d’ailleurs, est sans doute plus "moderniste" que "postmoderniste". Le Baiser d’Iñigo Manglano-Ovalle dénonce l’illusion de la transparence, de l’ouverture, de la communication…"
Pourquoi avoir sélectionné des artistes ayant pris pour objet l’architecture ou le design, plutôt qu’un art visuel?
"Tout d’abord, j’aime l’architecture et le design et j’ai également travaillé cinq ans au Centre Canadien d’Architecture. Et puis, j’avais le sentiment qu’en matière d’arts visuels, on avait fait le tour. Je ne voulais pas revisiter les Duchamp et autres Picasso. Par ailleurs, je trouve qu’en changeant de discipline, un artiste a la possibilité de réfléchir autrement et ainsi d’enrichir son regard. Et finalement, avec mon intention de faire ressortir un dialogue entre l’artiste et son modèle, ce choix semblait naturel. L’installation de Nairy Baghramian est le fruit d’une histoire d’amitié entre la designer française et son admiratrice."
Alors, à votre avis, pourquoi tant d’artistes choisissent-ils de s’inspirer des modernistes? Est-ce parce que ce mouvement fait partie de nos racines, parce qu’on a dépassé le rejet postmoderniste ou parce que notre société n’a plus d’idéal et que les artistes tentent d’en dégager un?
"Un peu de tout ça. Il faut dire que le modernisme est un projet qui n’est pas fini et la réaction postmoderniste nous a obligés à en fermer la porte. Aujourd’hui, non seulement on reconnaît l’importance du mouvement, mais on se rend aussi compte qu’on est finalement encore toujours dedans. En racontant l’histoire d’un objet ou d’un édifice, les artistes soulignent la négligence dont ont souffert les bâtiments de l’ère moderniste. Toby Paterson relate la triste histoire du pavillon britannique d’Expo 67, tandis que Paulette Phillips évoque la vie déchirée de la villa E-1027. Pourtant, ces édifices font partie de notre paysage urbain, et à ce titre, il faut les respecter. D’autant que ce sont des bijoux, à l’instar de la maison construite par le père de John Massey, pour laquelle l’artiste manifeste dans sa vidéo une admiration apparente."
À raconter l’histoire d’objets et d’édifices, ces créations ne sont-elles pas plus des documentaires que des oeuvres d’art?
"La frontière entre les deux peut être étroite. Pourtant, ici, il y a une interpénétration entre l’auteur, l’objet de la création et le spectateur lui-même. On ne sait parfois plus si on a affaire à une description objective de la réalisation d’un architecte moderniste ou à une réinterprétation de son sens par un artiste contemporain. Et le spectateur est pris à partie pour y aller de sa propre interprétation. En fait, on sent bien poindre l’oeil de l’artiste à travers les vidéos, les photographies et les installations. Les prises de vue d’Arni Haraldsson n’ont rien d’un cliché à la Julius Shulman. Un documentaire serait plus objectif. Ici, on est conscient que l’artiste nous raconte une histoire en engageant son opinion et en nous invitant à faire la même chose. On a la même impression avec l’appropriation que fait Tobias Putrih de la Biosphère de Buckminster Fuller."
Les Lendemains d’hier
Jusqu’au 6 septembre
Au Musée d’art contemporain de Montréal