Vie

Grand Prix de Montréal : Un monde à part

Le Grand Prix de Montréal a ses héros, ses moments de gloire, et tout le reste est petite histoire dans les souvenirs de ceux qui ont frôlé l’idole, sur le circuit, en cuisine ou sur les estrades. Regards croisés sur 32 ans de course-poursuite.

De la bière pour Gilles Villeneuve

Benoît Clairoux a eu la passion de la course. Il en a fait un livre, 25 ans de Formule 1 (aux éditions Hurtubise), condensé de l’histoire du circuit de Montréal depuis sa création jusqu’en 2003, date de publication. Et puis la passion s’est éteinte: "Plus pareil, moins intéressant depuis que Schumacher s’est mis à remporter toutes les courses". Avant, il y a eu Villeneuve. Père, bien sûr, dont l’affiche trônait dans la chambre de l’enfant de neuf ans, "irremplaçable dans le coeur des gens". Villeneuve et son fameux tour d’honneur en 1978, première année du Grand Prix à Montréal: "C’est impossible de refaire ça aujourd’hui", s’enthousiasme Benoît Clairoux, qui se souvient avec précision de cette autre époque: "Détail amusant: comme le commanditaire était Labatt, on avait remplacé le traditionnel magnum de champagne cette année-là par une immense bouteille de bière", raconte l’historien.

Et d’évoquer encore, pêle-mêle, l’accident fatal de Ricardo Palleti, en 1982, "une vision apocalyptique", ou encore la fameuse course où Nigel Mansell, alors qu’il était en première position et saluait déjà son public, triomphant, s’est soudainement arrêté dans le dernier virage: "La rumeur a couru qu’il avait malencontreusement éteint son moteur en saluant la foule! Évidemment, on a su après coup que c’était autre chose, mais l’histoire est restée!"

Stallone et Newman en ville

"C’est un monde à part", lance Carlos Ferreira, patron du restaurant du même nom à propos des coureurs de F1 et de leur entourage. Les patrons d’écuries, qu’il côtoie régulièrement pendant l’événement, sont des "hommes complètement absorbés par leur travail, quasi absents". Le café Ferreira, sur la rue Peel, reçoit chaque année nombre de ces stars du business et les pilotes eux-mêmes, venus se détendre un peu après chaque journée de course, et ce, depuis 1995. L’époque où, rappelle Carlos Ferreira, les restos branchés n’avaient pas encore pignon sur rue au centre-ville. Celle des partys démesurés de Guy Laliberté en fin de semaine, où les Sylvester Stallone et autres Paul Newman venaient faire un tour à Montréal, le temps où le champagne coulait à flots.

Une opulence qui a un peu pris le large ces dernières années… sauf dans les paddocks, aime à rappeler M. Ferreira, "où tout est cuir Hermès. Pour y acheter une place, il faut débourser au bas mot 5000 $; il faut vraiment avoir une stratégie commerciale derrière la tête!" L’homme d’affaire a lui-même tâté du circuit, avant de se mettre au karting, "plus écolo, moins cher", mais il garde une solide fascination pour ces stratèges, qui gravitent dans un milieu hyper protégé: "Pour monsieur Tout-le-Monde, ça commence à devenir un peu plate. Heureusement, cette année, il y aura un véritable enjeu: comment Schumacher va s’en sortir sans Ferrari!"

La piste prise d’assaut

"Faut être fan, sinon on s’emmerde comme roche au soleil", lance en riant Jean-Pierre Boisclair, commissaire sur la ligne de puits et bénévole sur le circuit depuis 15 ans. "On est là beau temps, mauvais temps, au froid, sous les grandes chaleurs, de 5 h du matin à 5 h du soir." L’exercice a ses compensations: "On est aux premières loges, en contact direct avec le pilote et les voitures." Et d’évoquer la rencontre, en pleine cohue, avec Jacques Villeneuve, en 1997, ou encore, en 1995, la foule qui déboule sur la piste, renversant les clôtures, pour la victoire d’Alesi. "Depuis, les normes de sécurité se sont énormément resserrées."

Depuis sa première visite en tant que spectateur, Jean-Pierre n’a pas décroché: "J’avais 10 ans, mon père était un fan fini. J’ai surtout souvenir de l’ambiance, les voitures m’avaient immédiatement impressionné." Dans la famille, on ne plaisantait pas avec les héros: "J’avais une brouette sur laquelle on avait barbouillé le numéro de Villeneuve", se souvient celui qui, bien des années plus tard, s’adonnera au karting avant de se payer, pour ses 40 ans, une journée de pilotage pluvieuse sur le circuit de Mosport: "J’ai dit à ma femme que si la dernière chose que je voyais avant de mourir était un pneu, je serais heureux!"