"Elle aurait dû s’appeler Joseph-Guibord, cette rue. C’était un membre de l’Institut canadien, victime de l’Église, une figure marquante. Mais on l’a nommée Gilford, par erreur. Si on piétonnisait ce petit tronçon, on pourrait créer une place à son nom." Il connaît son histoire, Matthieu Bonneau. Le jeune copropriétaire du café L’Emporte-pièce n’est pas en manque d’arguments quand il s’agit de défendre son projet: rendre ce petit bout de rue coincé entre Saint-Denis et Rivard aux piétons. "On pourrait élargir les terrasses, créer des événements avec l’École nationale de théâtre, le Conservatoire de musique et l’École supérieure de ballet, tout proches. On suivrait la tendance…"
La tendance – faire reculer la voiture -, New York a osé: Times Square et une partie de Broadway transformés en zone piétonnière, c’était en mai 2009, à la surprise générale. Un an plus tard, plus personne ne s’étonne de pouvoir relaxer tranquillement autour d’une table en plein coeur de ce qui fut, des années durant, l’une des avenues les plus embouteillées du monde. Un appel d’air que Montréal a, elle aussi, senti passer. Bien avant Times Square. "On aime à penser qu’ils se sont inspirés de nous", lance en riant Bernard Plante, directeur général de la Société de développement commercial du Village, à qui l’on doit l’initiative de la piétonnisation estivale de la rue Sainte-Catherine Est. "Il était temps de commencer à penser aux résidents, et pas seulement aux banlieusards." Pari remporté: l’achalandage a plus que doublé, note-t-il, précisant que l’opération a permis aux commerçants de trouver une nouvelle clientèle.
Vivre l’espace public
La réussite de la piétonnisation de la rue Sainte-Catherine donne des ailes aux autres initiatives du genre: on pourra cet été flâner sur les rues McTavish, Saint-Dominique et Saint-Paul. Il est question, en 2011, de piétonniser partiellement la rue Clark, dans le Quartier chinois, et la rue Masson. Sur l’avenue du Mont-Royal, les commerçants se laissent peu à peu convaincre par les arguments du comité de citoyens Mont-Royal -Avenue verte. "On parle d’une fermeture en face du métro Mont-Royal et entre Papineau et De Lorimier, explique Alexander Owen Rose, qui préside le comité. Mais les bars et restaurants, en particulier, résistent encore à l’idée, par peur de perdre leur clientèle éloignée. Or, 80 % de cette clientèle arrive à pied, à vélo ou en transports collectifs!" Rue Gilford, à l’exception d’un seul commerce, les résidents et les commerçants font front commun. Matthieu Bonneau a recueilli plus de 100 signatures sur une pétition adressée à l’arrondissement: "Des noms connus, mais aussi des familles avec enfants. Ici, la circulation est dangereuse."
Redonner de la place aux piétons participe aussi d’une vision globale pour la ville et la qualité de vie de ses habitants, rappelle Paul Lewis, de l’Observatoire SITQ du développement urbain et immobilier: "La piétonnisation n’est pas une solution miracle pour relancer l’économie de certains secteurs. Les quelques tentatives réalisées dans les années 70 nous l’ont montré. Les rues Sparks et Rideau, à Ottawa, ont été désertées. La rue Prince-Arthur, à Montréal, survit grâce à l’achalandage sur Saint-Laurent." Le chercheur insiste sur la notion de plaisir: "Pour inciter les gens à marcher, il faut perfectionner le réseau de transports en commun, mais aussi penser qualité des infrastructures, verdure, design. Il faut changer radicalement le traitement des espaces publics, ne pas se limiter à la piétonnisation de certaines rues."
Brasser les cultures
Du côté de la mairie de Montréal, qui s’est dotée en 2006 d’une Charte du piéton, on parle plutôt "confort" et "responsabilisation": "Nous priorisons la sécurité des piétons, précise Manon Barbe, responsable du transport. Élargissement des trottoirs, marquage au sol, remplacement des feux… chaque fois que nous entreprenons des travaux, nous considérons cet aspect." Et de citer en exemple l’aplanissement des trottoirs dans l’actuel réaménagement de la Place des Arts, qui participe, selon madame Barbe, à une "tendance globale". Pour l’inspiration, Montréal s’arrête là: pas question de faire cohabiter sur la chaussée cyclistes, piétons et automobilistes à l’intérieur de zones de rencontre déjà expérimentées par certaines villes européennes.
En attendant de rejoindre Copenhague ou Strasbourg, précurseures en la matière, Montréal s’est classée cette année au troisième rang des villes canadiennes où il fait bon marcher, selon le magazine Up (WestJet). Elle n’y apparaissait pas en 2009. Un changement pas si anodin, selon Jacques-André Lavallée, à la direction des communications de l’arrondissement Ville-Marie: "Beaucoup d’anglophones ne traversent pas Saint-Laurent. La piétonnisation les incite à poursuivre leur balade jusque dans le Village."
Adresses /
Le blogue de L’Emporte-pièce: www.lemportepiece.com
Le comité Mont-Royal – Avenue verte: www.montroyal-avenueverte.com
Charte du piéton de la Ville de Montréal:www.ville.montreal.qc.ca
Des nouvelles de la rue Masson: www.ruemasson.com
Étude WestJet: www.upmagazine.com
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De l’Aire sur Sainte-Catherine
Depuis le 4 juin et jusqu’au 13 septembre, le bitume appartient aux piétons rue Sainte-Catherine, entre Berri et Papineau. La troisième manifestation écolo-artistico-touristique déploie ses ailes sur l’artère débarrassée des automobilistes. On y va parce que:
– Cette année encore, le studio de design Paprika est en charge du cadre: jardin de roses suspendu et lignes jaunes psychédéliques au sol: une raison suffisante pour aller promener "mamour" dans le Village.
– C’est la plus grande concentration de terrasses de l’été, tchin tchin!
– On peut y jouer au beach volley ou s’initier au tai-chi, entouré de photographies géantes d’insectes étranges.
– À la tombée de la nuit, chaque mercredi, on se fait une toile et on (re)découvre les classiques du cinéma d’ici, ou bien on se laisse emporter par la voix des conteurs.
– On apprend l’art de la sérigraphie; on se laisse séduire par le Choeur gai de Montréal ou on teste son potentiel d’engagement citoyen.
Infos: www.aireslibres.com
Suivez le guide!
Cet été, jouez les touristes en gardant la forme: le Centre d’histoire de Montréal propose des visites guidées thématiques, histoire d’en apprendre un peu plus sur la ville, in situ.
– Les 3 et 10 juillet, à 13 h: visite du Quartier chinois.
– Les 7 et 8 août, à 13 h, à l’occasion de Présence autochtone: visite de la ville en compagnie d’un guide des Premières Nations, pour découvrir Montréal ville amérindienne.
– Le 19 septembre, à 10 h et 13 h: Imprimeurs en liberté, pour découvrir en divers endroits de Montréal le métier d’imprimeur et sa marque sur la ville.
– Les 18 et 25 septembre, à 14 h: découverte à travers la ville des réalisations architecturales les plus marquantes des années 1950 et 1960, à l’occasion de Montréal ville de verre.
Infos et réservations: 514 872-3207
Et pour des circuits sur mesure: www.guidatour.qc.ca
Des villes inspirantes
Un aperçu des villes à avoir à l’oeil pour leurs politiques d’urbanisme qui favorisent les piétons:
– Copenhague: reconnue comme l
a ville antistress par excellence, elle a entièrement piétonnisé son centre-ville et développé une solide expertise en matière de transports publics (la ville de New York a fait appel à un urbaniste de Copenhague pour réaliser la piétonnisation de Times Square). L’artère piétonne de Strøget est un exemple de réussite en la matière.
– Strasbourg: la ville compte 12 kilomètres linéaires réservés aux aires piétonnes dans l’agglomération, soit plus de 4 % de l’ensemble de la voirie.
– Lyon: la ville a délimité un secteur appelé "zone 30", autour de sa zone piétonne, dans lequel les vitesses sont très limitées, pour sécuriser les piétons.
– Bordeaux: a requalifié les espaces au centre-ville en mettant au coeur des changements le tramway.
Aux États-Unis: les villes de Portland et de Santa Monica sont reconnues pour favoriser les piétons.