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Artistes tatoueurs : Nouveaux visages du tatouage

Le tatouage s’éclate. Désormais créateurs, les artistes tatoueurs expriment librement leur vision sur la peau, quand ils ne la transposent pas ailleurs, faisant écho à l’éclatement des disciplines qui caractérise le monde de l’art contemporain.

Dans le cadre de l’événement Peinture extrême, Nicolas Mavrikakis, invité par la Galerie Joyce Yahouda, a proposé une réflexion sur la peinture réunissant des créateurs de tous horizons qui utilisent des techniques mixtes. Parmi eux, deux artistes, Mathieu Beauséjour et Mathieu Lefèvre, qui ont créé, à partir de leurs propres tatouages (certains représentant des oeuvres célèbres de Matisse et de Picasso), une vidéo et des photographies. "Ce que je voulais montrer et qui m’apparaît très pertinent, explique le commissaire et collaborateur à Voir, c’est comment les artistes transcendent et même se moquent du matériau. À l’heure actuelle, l’idée d’être spécialiste dans une discipline est complètement éclatée, on peut passer d’une discipline à l’autre."

Mélange des genres

Parlez-en à Maïka Houde. Contrairement à d’autres tatoueurs qui prolongent leur art sur des toiles ou des skateboards, elle fait du cinéma. Cette diplômée de Concordia et employée du studio Excentrik a commencé le tatouage en même temps que ses études. Rencontrée à la veille d’une soirée de financement pour son prochain court métrage intitulé Réconciliation, elle ne se voit pas vivre sans l’un ou l’autre: "Je jongle avec les deux constamment. Ce sont deux univers parallèles, deux aspects de ma personnalité. Je ne voudrais pas avoir à choisir: le tatouage, c’est zen, le cinéma, c’est intense!"

Pour le moment, le lien entre les deux arts, "c’est moi", dit-elle simplement. "Je vois les résonances entre les deux, mais pour quelqu’un qui ne me connaît pas, ce n’est pas évident au premier coup d’oeil. Mais c’est sûr que je pense peut-être un jour faire un film et qu’il y ait du tatouage… un lien quelconque avec cet univers."

Yann Black, Français débarqué au Québec il y a trois ans et qui exerce son art chez Glamort Tattoo Parlor, a d’abord exploré le dessin et la peinture. Mais depuis qu’il est passé au tatouage "un peu par hasard" il y a plus de 15 ans, il se consacre entièrement à son art, qui prend tout son temps. Original, unique, il n’a rien à faire des conventions. Ce qui le branche, c’est de créer ses propres tatouages sur ceux – et ils sont nombreux – qui laissent leur corps à ses aiguilles. "Tous les jours, je me régale! C’est un moyen d’expression qui est vraiment libre."

Son style, très personnel, s’inspire d’abord de ce qu’il couchait sur papier jadis: "Mes tatouages étaient d’abord une suite de ce que je faisais en dessin. C’est sûr qu’en changeant de support, j’ai évolué différemment. Aujourd’hui, quand je me retrouve devant un truc plat, je n’y arrive pas!"

Éloge de la lenteur

La mouvance vers l’éclatement ne date pas d’hier; mais les boutiques de tatouage qui misent sur la création et la rencontre, en opposition à une vision plus traditionnelle axée sur la reproduction et le "travail à la chaîne", sortent enfin de l’ombre. Une évolution normale dans un marché saturé, où la différence est désormais recherchée. "Beaucoup de mes clients ne se seraient pas fait tatouer s’ils n’avaient pas eu un truc différent", affirme Yann.

Très graphique, volontairement brouillon, avec des lignes qui parcourent nerveusement le corps, intégrant des personnages à l’esthétique à la fois noire et enfantine, ou bien de superbes fleurs épurées, tout en grâce, qui s’étalent sur un dos entier, le travail de Yann Black porte une signature distincte. "J’aime bien créer une impression d’éphémère, alors que ça va durer tout le temps."

Sa méthode de création est tout aussi unique. "Les gens arrivent, je discute avec eux de ce qu’ils aiment dans mon style et on fait des essais, avec des crayons feutres, directement sur le corps. S’ils aiment, je tatoue." Se presser? Très peu pour lui: "Moi, c’est relax, ce n’est pas la chaîne, je ne sais même pas ce que je ferai quand j’arrive le matin!"

Pour Maïka Houde, tout se joue lors de la rencontre: "Il faut que ça m’inspire, que ça parte du client, qu’il m’amène avec lui dans son projet", raconte celle qui dit avoir deux styles distincts, un beaucoup plus représentatif, organique, tout en couleurs, et l’autre plus graphique, linéaire et abstrait.

Entre la première rencontre et le moment du tatouage, des jours, voire des semaines peuvent passer, le temps de créer sur papier le dessin, de faire des retouches. Une lenteur qui vaut son pesant d’or, croit l’artiste: "C’est un processus agréable et je pense que tout le monde devrait prendre le temps de cogiter sur son idée pour ensuite l’amener à son potentiel maximal. Ça fait partie du rituel."

Adresses /

Excentrik: 4619, rue Saint-Denis, Montréal, 514 273-4466, www.excentrik.ca

Glamort Tattoo Parlor: 4411, rue Notre-Dame Ouest, Montréal, 514 656-0669, www.myspace.com/glamorttattooparlor

Yann Black: www.yourmeatismine.com