Depuis septembre, quelques enseignes monumentales de commerces du passé de Montréal ont trouvé un domicile inusité sur les murs du pavillon de communication et de journalisme du campus Loyola de l’Université Concordia. L’exposition d’anciennes devantures du restaurant Ben’s, du magasin Warshaw (anciennement sur le boulevard Saint-Laurent) et du cinéma Paramount (rue Sainte-Catherine) est le résultat de six ans de travail par le professeur associé Matt Soar, en collaboration avec Nancy Marrelli, directrice des archives de l’Université Concordia. L’étude vise à observer l’impact de ces enseignes commerciales sur nos paysages urbains.
Au départ, l’intérêt du chercheur ne se situait pas dans la sauvegarde du patrimoine commercial, mais bien dans l’élaboration d’une critique de la présence écrasante de l’affichage publicitaire dans nos environnements urbains. "Nos sociétés souffrent de trop d’affichage, observe-t-il. Dans la logique de l’hypercommercialisation du milieu urbain, la moindre petite surface doit être exploitée. On va jusqu’à voir Pizza Hut sur les fusées spatiales!" Or, à trop couvrir, on finit par tout masquer. En utilisant l’exemple de Sao Paulo au Brésil, le professeur de Concordia rappelle que depuis que les autorités locales ont décidé, en 2007, de faire retirer toutes les enseignes commerciales et les panneaux publicitaires, "on s’est mis à redécouvrir l’architecture et même la silhouette d’origine de la ville".
Silhouette urbaine
En cours de route, les recherches entreprises par Matt Soar ont aussi été l’occasion de montrer que tout n’était pas à "jeter". "Certaines des enseignes d’anciens commerces ou de manufactures font partie de notre culture populaire. Vous vous attachez naturellement aux artefacts qui font partie de l’environnement visuel dans lequel vous vivez", note-t-il. C’est ce qui explique les réactions critiques lorsque ADM a éteint l’enseigne lumineuse FARINE FIVE ROSES en 2006 ou la mobilisation, l’an dernier, pour la sauvegarde de la pinte de lait géante en métal derrière le Centre Bell.
Au-delà de la culture populaire, les enseignes sont également partie prenante de l’identité visuelle d’une ville. Sur le site www.logocities.org, qui présente un certain nombre de résultats du travail de Matt Soar, certains témoignages et perspectives de Montréal montrent à quel point les enseignes composent une silhouette qui définit la métropole à travers son histoire commerciale et ses valeurs culturelles. "Que l’on prenne le logo d’Hydro-Québec sur la tour éponyme, la croix du mont Royal ou l’enseigne FARINE FIVE ROSES, il existe toutes sortes d’histoires qui se rapportent autant à soi en tant qu’individu qu’à un système de valeurs partagé par la population tout entière", constate Matt Soar.
Un patrimoine à protéger?
Si une enseigne commerciale fait partie de notre patrimoine culturel, il est naturel de la protéger. Or, comme le souligne Matt Soar, "on se soucie aujourd’hui davantage de sauver des édifices que des enseignes". Pourtant, la difficulté est de savoir dans quelle mesure une enseigne vaut la peine d’être sauvée. Suffit-il qu’elle nous rappelle notre enfance pour que l’on parle de culture, même populaire? Pour le professeur, le sujet est délicat: "Il est souvent difficile de savoir quelles enseignes doivent être sauvées avant qu’elles ne soient effectivement menacées, lesquelles ont une importance qui fait consensus." Matt Soar se refuse donc à toute grille d’évaluation, même s’il reconnaît que lorsqu’on lui propose d’ajouter à sa "collection" une nouvelle enseigne, il est attentif à sa signification historique et culturelle, sa rareté et son originalité graphique…
De toute façon, le professeur de Concordia avoue ne pas avoir le budget pour se lancer dans une vaste opération de sauvegarde des enseignes commerciales de Montréal. "On fait avec les moyens qu’on a, l’idée est davantage d’amener à réfléchir et à mobiliser que de trouver des solutions toutes faites." C’est dans ce sens que le site www.farinefiveroses.ca, qu’il a créé pour souligner la perte que représentera la disparition (probablement) prochaine de l’enseigne d’ADM, invite la population montréalaise à suggérer des solutions. "On y trouve des idées loufoques autant que des propositions intéressantes", estime-t-il. Les lettres pourraient ainsi composer une sorte de slogan identitaire ("J’AIME MONTRÉAL"), bien que Matt Soar préférerait les conserver en l’état, quitte à les déplacer, à l’instar du logo PEPSI-COLA de New York, relocalisé à Long Island. Avis aux créatifs…
Le projet d’enseignes de Montréal: exposé dans les couloirs du pavillon de communication et de journalisme de l’Université Concordia, 7141, rue Sherbrooke Ouest, Montréal
http://enseignes.concordia.ca