Depuis cette semaine, le Carré d’art contemporain du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) accueille pour la première fois un couturier québécois. Il est d’ailleurs suffisamment rare que la mode pénètre un espace consacré à l’art pour que la chose mérite d’être soulignée. C’est dire que beaucoup reconnaissent aux créations de Denis Gagnon une dimension artistique. "Je suis impressionné par la puissance expressive de ses vêtements, qui condensent éléments symboliques et plastiques; peu de designers ont cette qualité artistique", estime Stéphane Aquin, commissaire de l’exposition et conservateur de l’art contemporain au MBAM.
Car si l’on connaît Denis Gagnon pour son travail de la matière et notamment du cuir, auquel il sait donner une légèreté presque aérienne, il faut souligner sa capacité à se laisser guider par la matière pour s’émanciper des formes et des associations fonctionnelles traditionnelles; il dévoile ce que d’autres cachent, il fait d’un accessoire un matériau noble, allant jusqu’à imaginer une robe composée de fermetures éclair, comme celle qui a clôturé le défilé de sa dernière collection. "Il y a de l’art conceptuel en lui dans sa façon de prendre du recul par rapport à ce qu’est le vêtement", confirme Stéphane Aquin.
L’instantané d’une démarche créative
Pour rendre compte de ce côté artistique, l’exposition a choisi de s’éloigner des rétrospectives traditionnelles, comme celle de l’exposition Yves Saint Laurent de 2008. "Avec une rétrospective, on ne fait qu’effleurer le présent. Or, je trouvais important de montrer au public qui est Denis Gagnon, donc de mettre en scène sa démarche créative actuelle", confie Gilles Saucier, l’un de nos plus grands architectes québécois (Faculté de musique de l’Université McGill, Théâtre du Rideau Vert, pavillon du Jardin des Premières-Nations du Jardin botanique, Faculté d’aménagement de l’Université de Montréal…), qui a imaginé toute la scénographie de l’exposition.
Cette mise en scène s’articule autour de trois mouvements. En périphérie, sur les murs blancs de la salle, tout commence par la matière utilisée par Denis Gagnon (cuir, fermeture éclair, dentelle…) qui se dévoile dans des photomontages de plans rapprochés de Martin Laporte évoquant la perception qu’en a le designer. "Plutôt que d’une simple image de son Lac-Saint-Jean natal, le grossissement d’une frange de ses robes évoque un paysage, celui d’une fermeture éclair, un nuage, comme si l’on pénétrait l’intimité de ses souvenirs et de sa façon de voir les choses", explique Gilles Saucier. En suspension dans l’espace, 20 créations du couturier (la plupart inédites) expriment le travail créatif de Denis Gagnon. Au centre, sur les trois faces d’une immense pyramide inversée, des écrans donnent vie à ses collections. "La projection de ces défilés représente ce que ses créations apportent de musique, de nightlife, de beauté", ajoute Gilles Saucier.
Deux créateurs de la matière
Plus qu’une exposition de mode, il s’agit ainsi de la rencontre entre deux designers de disciplines qui sont moins étrangères l’une à l’autre qu’il n’y paraît. "Davantage qu’une exposition, c’est une installation qui parle d’un lien créatif entre lui et moi", précise Gilles Saucier. Un lien qui apparaît naturellement lorsqu’on connaît leur travail de la matière. Tous deux ont une affection particulière pour le noir, dans lequel l’architecte voit l’idée d’une abstraction formelle et le designer, de la beauté, voire de la couleur. Mais surtout, chez chacun d’eux, la matière est la base de toute création. Alors que Gilles Saucier voit déjà un mouvement formel dans la matière brute, Denis Gagnon se laisse guider par elle. "Je sais dessiner, mais je ne dessine pas mes collections. À partir de son drapé et de sa texture, c’est la matière qui me dicte ce que va être un vêtement", explique le couturier.
Et ce lien créatif se traduit par une exposition qui n’en est pas une, car elle a l’avantage d’être l’interprétation que fait un architecte de la démarche conceptuelle d’un designer. C’est en fait une oeuvre en elle-même. Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’expressivité des éléments qui la constituent. Pièce maîtresse par sa taille et sa dynamique, la pyramide, "pleine de ces images intenses de vie" dont parle Gilles Saucier, s’oppose à la blancheur virginale des murs qui évoque la matière brute; cette même matière, grossie photographiquement, exprime davantage la vision du créateur qu’elle ne s’expose pour elle-même. Et cette expressivité va jusqu’à influencer la présentation de la collection inédite qui flotte dans l’espace, conçue davantage pour matérialiser l’esprit d’une démarche créative que pour simplement en montrer quelques artefacts…
Denis Gagnon, un couturier au Musée. Dix ans de création
Du 19 octobre 2010 au 13 février 2011
Au Musée des beaux-arts de Montréal