"Les prévisions indiquent que dans les prochaines décennies, la migration pourrait toucher près d’un milliard de personnes. Compte tenu de la mobilité accrue des gens et des choses, le CCA se devait de porter attention au thème de la migration et d’en examiner les conséquences transformatrices", a annoncé Mirko Zardini, directeur du musée. La commissaire Giovanna Borasi et son équipe ont ainsi compilé pendant deux ans des dizaines d’histoires qui racontent la transformation d’environnements urbains ou paysagers à la suite du déplacement de personnes, de leurs idées et de leurs valeurs.
Seules 15 de ces histoires ont été sélectionnées aux fins de l’exposition. Le résultat donne un ensemble hétéroclite plutôt baroque, où sont abordés, pêle-mêle, la modification du paysage bolivien avec le développement de la culture du riz importée par les immigrés japonais, la réglementation européenne du concombre, l’évolution du centre urbain de Mazara, un port de pêche de Sicile, sous l’impulsion de nouveaux arrivants, le projet de relocalisation de la ville d’Iroquois en Ontario dans les années 1950, la création de villes "afro-américaines" au Libéria dans la première moitié du 19e siècle, l’ibis sacré de l’ancienne Égypte, la dérive océanique des noix de coco…
Initiation ludique
Certains esprits critiques seront en droit de s’interroger sur la pertinence d’une telle exposition, autant dans son objet que dans sa forme. D’abord, les histoires présentées ne touchent que des situations marginales et souvent anachroniques. N’aurait-il pas été plus judicieux de se pencher sur le développement d’une ville comme New York ou Paris, voire Pékin ou Shanghai, sous l’impulsion du transfert mondial d’idées et de valeurs, que sur le développement de l’industrie de la pierre au Vermont au 19e siècle? Par ailleurs, comment voir un lien évident entre la dérive des noix de coco ou la menace que représente l’oiseau ibis sur la faune française et l’architecture? Et pour finir, la plupart des histoires présentées s’intéressent à la migration des hommes, à l’heure où le phénomène de la mobilité des idées (avec l’avènement des communications virtuelles) est sans doute plus important…
N’en déplaise aux esprits chagrins, l’exposition du CCA se veut avant tout didactique (dans l’esprit de l’orientation prise depuis cinq ans par le musée). "Mon intention n’était pas de rentrer dans des analyses statistiques pour évaluer l’importance de tel ou tel phénomène, mais d’avoir une approche accessible à tous. D’ailleurs, j’ai volontairement privilégié des sujets marginaux pour pouvoir plus facilement en dégager une thématique", explique Giovanna Borasi. Car derrière chacune des 15 histoires présentées, se dégage un thème (comme l’appropriation d’un espace par des immigrants ou l’évolution d’un terme d’architecture). L’idée première de l’exposition était donc de montrer simplement au grand public les différents effets sur l’environnement que peut avoir la migration des hommes, de leurs idées et de leurs valeurs. Il ne s’agit en rien d’une liste exhaustive, mais d’une initiation ludique, sous une forme anecdotique, à la complexité avec laquelle nos environnements se construisent.
Traduction visuelle
Après avoir sélectionné les anecdotes lui ayant inspiré les 15 thématiques de l’exposition, Giovanna Borasi a demandé à 15 auteurs (journalistes, architectes, anthropologues, historiens…) connaissant bien les histoires en question d’écrire chacun un texte d’une dizaine de pages sur le sujet. L’exposition du CCA en est l’interprétation visuelle. Rompant avec sa tradition de sobriété très classique, le musée s’est peint en couleurs pour l’occasion: la surface murale de chaque thématique a sa propre tonalité. Chacune des thématiques est illustrée par, outre le résumé du texte de l’auteur, des documents d’archives, des photos, des vidéos, des maquettes et même un ibis empaillé évoquant les momies de l’Antiquité.
Pour donner une unité à l’ensemble, la commissaire a imaginé d’établir des liens entre les différentes thématiques, en les rapprochant ou en les opposant les unes aux autres. Ainsi, Giovanna Borasi souhaitait permettre une lecture à plusieurs entrées. Ainsi, on peut commencer l’exposition soit par la dérive des noix de coco, soit par la réglementation des concombres. Au-delà de leur incongruité apparente, il faut voir dans ces deux anecdotes les métaphores de deux façons de percevoir l’environnement, soit en le réglementant, soit en le laissant à l’état naturel, à l’instar d’un Gilles Clément…
Trajets: comment la mobilité des fruits, des idées et des architectures recompose notre environnement
Du 20 octobre 2010 au 13 mars 2011
Au Centre Canadien d’Architecture
www.cca.qc.ca