Le 14 octobre dernier, la Fonderie Darling et la Fondation du Horse Palace de Griffintown conviaient la presse pour un parcours en calèche rue Ottawa, identifiée comme un élément-clé du Corridor culturel, ce projet d’axe culturel et patrimonial reliant le Vieux-Montréal au Marché Atwater. L’idée était d’alerter la population quant à la menace que constitue pour l’avenir de ce corridor culturel le projet municipal de voies réservées aux autobus, dans le cadre du réaménagement de l’autoroute Bonaventure. En parallèle, l’organisme Corridor culturel – qui gère depuis cet été les manifestations culturelles organisées à la New City Gas – lance le concours d’idées Griffintown Interrupted et invite les architectes, artistes, étudiants et créatifs en tout genre à imaginer des projets de revitalisation à court terme pour le quartier.
On croyait pourtant que les choses s’étaient calmées à Griffintown. Le promoteur Devimco a réduit à sa portion congrue son ambitieux projet de "village Griffintown". Par ailleurs, après les consultations publiques de l’hiver dernier, la Ville de Montréal avait révisé sa copie pour présenter un projet qui tienne compte des doléances de la population. Et de toute façon, elle soulignait, lors de l’annonce du projet final en août dernier, que le principe de ce parcours était "transitoire". Cela dit, si la mesure est temporaire, où sont les plans d’aménagement futur? Car, comme le soulève David Hanna, professeur au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, "que vient faire un corridor d’autobus dans un quartier dont on voudrait revaloriser le potentiel artistique et patrimonial"?
Quel corridor?
D’ailleurs, n’est-ce pas un peu exagéré de parler de corridor culturel? Tout d’abord, il faut réduire ce corridor à la rue Ottawa. C’est en 2005 que l’artiste peintre André Paradis, alors à la recherche d’un site pour son projet de Cité des artistes, commandait une étude à la firme d’architectes Schème Consultants qui identifia la rue Ottawa comme un axe privilégié pour l’implantation d’ateliers mixtes et d’entreprises artistiques commerciales. Or, aujourd’hui, entre la Fonderie Darling, à une extrémité de la rue, et la future Cité des artistes (qui devrait être construite d’ici l’an prochain sur l’ancien site de tri postal), à l’autre extrémité, il n’y a rien de concret. La création d’un écomusée consacré au cheval et au logement ouvrier dans les anciennes écuries du Horse Palace n’est qu’à l’état de projet. L’idée d’installer une antenne du Musée d’art contemporain de Montréal dans l’ancien édifice de la New City Gas s’en est allée avec le départ pour Ottawa de l’ancien directeur du Musée, Marc Mayer.
On peut néanmoins reconnaître la valeur patrimoniale du secteur. Avant de parler des bâtiments, on sait, depuis la critique virulente du projet de Devimco, que la trame des rues du plus ancien quartier ouvrier de Montréal a une valeur historique. Par ailleurs, comme le précise David Hanna, "le quartier est truffé d’édifices patrimoniaux". La Fonderie Darling est un témoin de l’histoire du développement de Montréal, au même titre que la New City Gas (le plus gros complexe du genre en Amérique du Nord). D’autres bâtiments donnent une palette étendue des formes que la révolution industrielle a prises ici, comme la caserne de pompiers de la rue Ottawa, le poste de police de la rue Young, le complexe O’Connell ou les maisons ouvrières de la rue Eleanor…
Développement par les arts
Si le concept de corridor culturel peut donner l’impression d’être une simple réaction de résidents et d’artistes à la volonté de la Ville de réaménager un quartier désaffecté, il faut pourtant y voir un projet original de revitalisation urbaine par les arts. D’abord, il semble mobiliser beaucoup plus les foules et les projets qu’un plan insipide comme celui de Devimco. Le projet d’écomusée du Horse Palace intéresse d’ores et déjà des promoteurs immobiliers. Le propriétaire des murs de la New City Gas, qui se consacrait auparavant à la production papetière, envisage de plus en plus de se recycler dans les activités artistiques. Au bout de la rue William, le mécène Pierre Trahan vient de faire l’acquisition d’un terrain pour y construire un musée et des galeries d’art…
Ensuite, cette revitalisation par les arts semble beaucoup plus respectueuse du patrimoine existant que les projets actuels, et sans doute mieux à même de réparer l’ancienne fracture urbaine qui a coupé le quartier en deux. "Nos activités n’ont eu de cesse de recréer un lien avec l’ouest du quartier, malgré l’autoroute et la voix ferrée", témoigne Caroline Andrieux, directrice de la Fonderie Darling. En revanche, "il est ironique de penser qu’on démantèle l’autoroute pour relier les deux zones, tout en les divisant de nouveau avec le corridor de bus", remarque Christian Roy, vice-président de la Fondation du Horse Palace.
Pour finir, ce genre de revitalisation a déjà fait ses preuves. Il suffit de penser à la Ruhr qui est devenue "paradoxalement" la capitale européenne de la culture en 2010, à la revitalisation de la ville de Lowell, au Massachusetts, autour des anciennes industries textiles ou, plus près de nous, à la réhabilitation du centre-ville de Saint-Hyacinthe, avec la création d’un centre d’exposition.
Corridor culturel: http://corridorculturel.co
Griffintown Interrrupted: réception des soumissions de projets temporaires du 11 au 25 novembre; débat en ligne sur les propositions du 1er au 14 décembre; exposition virtuelle et publication à venir: www.griffintowninterrupted.net