Vie

Salon du livre de Montréal / Bulles d’artistes : En temps et lieux

Souvent secrets et casaniers, pourtant curieux et globe-trotters, cinq auteurs nous ouvrent la porte de leurs lieux de création, de réclusion et d’évasion. Intrusion respectueuse dans des bulles d’artistes, à quelques jours du Salon du livre de Montréal.

Loisel et Tripp, bédéistes /

L’envers et l’endroit

Leur quartier général: N’eût été cet appartement dans Outremont, converti en atelier d’artistes, l’inclassable série Magasin général (dont le sixième tome paraîtra le 3 décembre chez Flammarion) n’aurait jamais vu le jour. En 2003, Régis Loisel achetait cet espace, pour ensuite inviter son ami Jean-Louis Tripp à se joindre à lui. Rapidement, les deux compères constatent leur grande complémentarité. JLT: "Tout ce que Régis n’aime pas faire dans le travail, c’est ce que je préfère, et vice-versa." Au fil des ans, d’autres artistes passeront par cet atelier au fouillis plus ou moins organisé. Strips, croquis et peintures au mur, ouvrages de référence et BD dans les étagères débordantes; crayons, papiers et pots de peinture ouverts sur les tables… Tous les mercredis soir, un modèle vient poser sur un podium dans la pièce principale pour les artistes des environs…

Sur leur table à dessin: RL: "Voici mon espace, il y a le bordel et encore, j’ai fait le ménage, comme je le fais quand je commence un nouveau tome (le septième). Mais si vous reveniez dans 15 jours, je serais cerclé d’objets, avec juste ce qu’il me faut d’espace pour dessiner." JLT: "Je travaille de plus en plus chez moi: le gars rangé ne peut pas lutter contre ceux qui font le bordel! (rires) Mon atelier est donc très rangé avec étagères de bois brut monté sur briques en béton. Un bureau tout simple… Sur mon MacBook, j’écoute mes podcasts d’émissions de France Culture, des classiques de la chanson française…"

Parmi les vivants: JLT: "Je fréquente les musées, les galeries et les cinémas. Il y a aussi un endroit extrêmement important pour moi qui s’appelle le Tango Libre sur Mont-Royal, où je pratique une activité qui s’appelle la biodanza, trop longue à décrire." RL: "J’adore bien manger, bien boire. Il y a de bons restos à Montréal. Le gros problème, c’est le bruit. C’est incroyable! J’aime beaucoup Les Infidèles sur Rachel, vraiment superbe! Je vais souvent à Tonnerre de Brest et au Paris Beurre, rue Van Horne. Récemment, je suis allé au P’tit Plateau sur Marie-Anne, un très bon resto!"

Lieux d’évasion: JLT: "Je me promène beaucoup dans les ruelles. C’est un entre-mondes: on a l’impression qu’on a quitté la ville, qu’on est dans un chemin de campagne. Dans l’enfilade, on voit des voitures qui passent, à droite, à gauche. C’est surréaliste. Même dans les endroits très urbains de Montréal, il y a toujours ces morceaux de campagne, comme une espèce de marqueterie à l’intérieur de la ville."

Montréal, ma ville: JLT: "Mon histoire d’amour avec Montréal remonte à mon adolescence avec l’arrivée en France des chanteurs québécois des années 70: Beau Dommage, Diane Dufresne, Robert Charlebois. C’est grâce à eux si je suis ici. Si bien que quand je suis venu pour la première fois à Montréal en 1989, j’ai fait le tour de la ville en cherchant les noms de rues des chansons. J’ai cherché pendant très longtemps le coin Jean-Talon et Saint-Hubert dans le Chinatown (de la chanson du même nom)! J’ai longtemps perçu l’île Perrot comme un lieu romantique (Motel Mon repos). Je me réjouissais tous les jours de prendre le métro Beaubien (Tous les palmiers). (…) Quand je suis arrivé à Montréal, j’étais comme le pape qui s’agenouille pour baiser le sol. Je me suis dit: "Ici, c’est chez moi.""

Marie-Claire Blais, auteure /

Les bons compagnons

Son quartier général: "J’aime que le lieu de l’écriture soit une retraite, un lieu calme, même si je peux écrire un peu partout, dans le

bruit, mais dans le travail continu, la tranquillité et la solitude me semblent essentielles car il faut se concentrer, être rigoureux, réfléchir beaucoup aussi. Les chats habitent ce lieu, les voisins frappent à la porte… je ne parviens donc pas à me retirer complètement. Il y a toujours beaucoup de vie bruyante autour de moi, alors que j’ai l’illusion pendant que j’écris d’être invisible et seule sous la végétation abondante, ici."

Parmi les vivants: "Afin d’écrire Mai au bal des prédateurs (Éd. Boréal), je vivais auprès des personnages nocturnes du livre, ne les quittais pas des yeux, pendant plusieurs jours, afin de mieux les comprendre. C’est naturel, je pense, cette approche très intime, spirituelle, mais il faut être discret et ne pas gêner l’autre par son regard."

Sur ma table de travail: "L’ordinateur, les cahiers, carnets, feuillets, une table de travail bien en désordre avec des chats trop présents, mais non accapareurs puisqu’ils sont de bons compagnons. Beaucoup de livres, de notes, trop de désordre qu’il faut chaque jour alléger car, participant à plusieurs jurys, les livres sont partout, ce sont aussi de bons compagnons."

Lieux d’évasion: "L’écriture est toujours présente, je ne cesse d’y penser, mais comme il y a d’autres obligations littéraires (jurys, conférences, articles, etc.), je dois parfois tout interrompre

d’un projet dévorant, et puis lorsque j’y reviens, c’est la joie."

Key West, ma ville: "Key West est un lieu charmant, où il y a depuis toujours des écrivains et des artistes, c’est déjà très stimulant, mais en fait pour moi, Key West est la continuité de mes années d’observation de la scène nord-américaine, depuis Cambridge, la Nouvelle-Angleterre où j’ai longtemps résidé. C’est ici que je peux le mieux décrire ce que je vois, ressens devant notre monde, car c’est ici, dans ce pays, que j’ai reçu les connaissances (politiques, sociales, humaines). Et je continue d’y travailler à ces connaissances, qui forment ou composent les livres de Soifs."

Marie-Claire Blais sera l’un des invités d’honneur du 33e Salon du livre de Montréal, du 17 au 22 novembre, à la Place Bonaventure.

Stéphane Dompierre, auteur /

Admirer la vue

Son quartier général: "Mon bureau à lui seul occupe la moitié avant de mon 61/2 dans Pointe-Saint-Charles. Je me suis acheté une grande table pour 15 personnes parce que je travaille de plus en plus avec des collaborateurs, Jean-François Asselin pour le film Mal élevé (à l’étape de la version deux du scénario) ou Caroline Allard. Le filage est là, la machine à café, pas loin."

Lieux d’évasion: "Le lieu d’évasion premier pour moi, c’est la fiction. Le roman que j’écris présentement se déroule à Sienne, en Italie, alors je replonge là-bas. Les personnages écoutent de la musique classique, alors j’en écoute aussi. L’évasion, c’est donc le monde que je leur ai créé. En voyage, je traîne un calepin et je note absolument tout. Mes calepins de voyage me révèlent beaucoup plus qu’un album de photos: les odeurs y sont, l’environnement, les personnes croisées…"

Parmi les vivants: "La vie d’auteur, c’est très solitaire. C’est plate! Il n’y a rien à regarder. (…) Maintenant que je travaille sur des projets télé et cinéma, j’ai plus souvent des meetings à l’extérieur. On dirait que je perds l’habitude: il ne faut pas que j’oublie de mettre un pantalon, un manteau. (rires) Quand je travaille dans les cafés, c’est vraiment pour l’aspect pratique: rencontrer des collaborateurs, faire des entrevues. C’est un autre mythe de l’écrivain qui persiste: aller dans les cafés pour s’inspirer… Mais il ne se passe rien dans les cafés!"

Sur sa table de travail: "J’aime avoir une vue devant moi (de grandes fenêtres), alors tout le matériel et la paperasse sont derrière moi. J’ai une capacité à vivre seul. Parfois je lance: "Salut, c’est moi!" en rentrant à la maison, mais mes voisins sont avertis et n’en font pa
s de cas."

Montréal, ma ville: "Je ne me verrais pas vivre ailleurs. C’est le mix de plusieurs choses: c’est New York, c’est Paris. Les gens sont relax. C’est juste assez impersonnel pour me plaire, mais quand tu veux socialiser, tu peux. Ce n’est pas nécessairement le cas à Paris où ce n’est pas évident d’approcher les gens. Alors qu’en Italie, dans les petits villages, tu connais tout le monde au bout de deux jours."

Stéphane Dompierre sera au Salon du livre de Montréal pour présenter Jeunauteur 2, qu’il cosigne avec le bédéiste Pascal Girard (Éd. Québec Amérique).