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La rue Sainte-Catherine : Riche et célèbre

Malgré les crises économiques, les mutations sociales, les modifications des comportements d’achat vécues au cours de ses deux siècles d’existence, la rue Sainte-Catherine a su s’imposer comme l’artère emblématique d’un Montréal des boutiques et des spectacles.

On sait que la rue Sainte-Catherine est, avec le boulevard Saint-Laurent, l’artère la plus connue et la plus fréquentée de Montréal. Sa réputation est notoirement liée à son effervescence commerciale et culturelle, concentrant un nombre impressionnant de grands magasins, de grandes surfaces spécialisées, de boutiques de mode et de salles de spectacles les plus diverses. Pourtant, on prend souvent mal la mesure de son importance historique, qui fait de cette rue vieille de 250 ans non seulement le témoin privilégié du développement de Montréal, mais aussi le coeur palpitant de son identité. "Les activités que l’on retrouve sur la rue Sainte-Catherine sont si variées qu’elles représentent remarquablement l’histoire du développement de la métropole; c’est à la fois la rue des grands magasins, du théâtre et pendant très longtemps du hockey, un axe de transport et un lieu de manifestations populaires…", souligne Paul-André Linteau, historien et professeur à l’Université du Québec à Montréal, qui vient de publier un livre consacré à l’artère emblématique, parallèlement à l’exposition La rue Sainte-Catherine fait la une!, qui a lieu au musée Pointe-à-Callière.

Petite rue deviendra grande

Sainte-Catherine naît vers 1758 d’un petit tronçon de rue, à l’époque où le boulevard Saint-Laurent perce les fortifications de la vieille ville pour amorcer le développement urbain de la métropole vers le nord. À la fin du 18e siècle, c’est une voie de 24 pieds de large qui relie les rues Sanguinet et Saint-Alexandre. "Ce n’est qu’à la fin du 19e siècle que la petite rue de faubourg prend une dimension métropolitaine, avec l’apparition des grands magasins (Simpson, Morgan, Ogilvy, Eaton, Dupuis Frères…)", précise Paul-André Linteau.

De simple rue de quartier, elle va ainsi devenir un axe majeur de Montréal, tant d’un point de vue commercial que culturel. À côté des grands magasins, on retrouve une kyrielle de boutiques en tout genre, vendant bijoux, meubles, articles de sport, quincaillerie, etc. En parallèle, la naissance du cinéma et la prohibition entraîneront le développement du Red Light, avec ses cabarets et autres palaces.

Une vitalité hors du commun

À partir des années 1960, la rue Sainte-Catherine va être frappée de plein fouet par les mutations économiques et sociales de l’époque. L’apparition de la télévision et la politique de Jean Drapeau contre les abus du Red Light font disparaître les cabarets. Avec l’avènement des centres commerciaux de banlieue, bon nombre de grands magasins et de petits commerces ferment. Malgré tout, comme le remarque Paul-André Linteau, "la rue n’a jamais cessé d’être active, au moins dans le quart de sa longueur".

Cette vitalité tient à la survivance de magasins d’importance qui ont su s’adapter et traverser les crises, à l’instar d’Archambault, Omer DeSerres, Ogilvy ou Birks. "C’est au coeur de la grande dépression que la famille Birks imagine la petite boîte bleue, un symbole joyeux destiné à remonter le moral de sa clientèle", rappelle Eva Hartling, directrice des relations publiques du bijoutier du square Phillips. De la même façon, le magasin Ogilvy est resté fidèle à l’audace de ses fondateurs qui ont pris le risque en 1896 de s’installer où il n’y avait encore rien. "En 1986, nous avons été les premiers à lancer les shop-in-shops, ces espaces consacrés à une seule marque", confirme Steve Lapierre, vice-président marketing du grand magasin.

Une animation permanente

Outre la personnalité de ses magasins, la pérennité de la rue comme pôle commercial majeur tient aussi beaucoup à sa localisation. "Elle reste au coeur du lieu de pouvoir que constitue le centre-ville, avec ses grands hôtels, ses tours à bureaux et ses centres de congrès", note Paul-André Linteau. Elle bénéficie donc d’une animation continue qui ne pourrait pas exister dans une zone résidentielle. "Une des dimensions qui fascine, c’est la foule qu’il y a en permanence, de jour comme de nuit, à l’image de la Rambla de Barcelone, ce qui distingue Montréal des autres villes d’Amérique du Nord", remarque l’historien. En outre, celui-ci ajoute que "les zones autour de la rue restent habitées de populations bien nanties qui donc consomment, alors qu’ailleurs en Amérique du Nord, les clientèles aisées habitent et consomment en banlieue".

C’est grâce à son caractère unique que la rue Sainte-Catherine a pu traverser les crises et même renaître depuis une vingtaine d’années. "Paradoxalement, ce sont les commerces qui ont fait revivre la rue", note Paul-André Linteau. À côté des nouvelles grandes surfaces spécialisées (HMV, Future Shop, Sports Experts…), ce sont toutes les grandes marques de vêtements qui ont tenu à y implanter leurs vitrines de prestige. Née de la mode, dont les grands magasins ont fait leur succès, c’est par elle que la rue commerciale par excellence de Montréal a su se refaire une jeunesse…

La rue Sainte-Catherine. Au coeur de la vie montréalaise
de Paul-André Linteau
Les Éditions de l’Homme, 2010, 256 pages